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la Tribune
Grèce : le piège de Wolfgang Schäuble se referme
Article mis en ligne le 14 février 2017

L’appel d’Alexis Tsipras à l’Allemagne à ne pas "jouer avec le feu" traduit surtout une impuissance face au jeu de Wolfgang Schäuble qui n’a jamais abandonné son projet d’une exclusion de la Grèce de la zone euro...

La stratégie du gouvernement grec

Pour saisir la situation, il faut d’abord comprendre ce que le gouvernement grec a cherché à obtenir avec le troisième mémorandum signé en août 2015 et indirectement validé par les électeurs helléniques au cours des élections du 20 septembre suivant. Alexis Tsipras avait promis de respecter le programme signé, tout en préservant les intérêts grecs et en se voyant in fine « récompensé » par des concessions des créanciers. En clair : la Grèce entendait assouplir au maximum les exigences des créanciers, puis les appliquer et utiliser cette application pour obtenir des conditions plus avantageuses en termes d’objectifs et de restructuration de la dette. Il s’agissait, dans l’esprit d’Alexis Tsipras, de changer de logique face à l’application à la lettre des demandes de la troïka des gouvernements de 2010 à 2015.
Les objectifs d’Alexis Tsipras

L’objectif principal du gouvernement grec était notamment la révision de la dette publique, principalement détenue par les États de la zone euro et les institutions européennes. Pour cela, Alexis Tsipras pouvait compter sur une particularité de ce troisième mémorandum : la divergence radicale dès le départ entre les créanciers européens et le FMI. Le FMI refusait d’entrer dans le programme sans restructuration de la dette, tandis que les Européens refusaient toute coupe dans le stock de dettes, mais voulaient la participation du FMI. Dès lors, en se montrant bon élève sur le plan budgétaire, Alexis Tsipras pouvait espérer obtenir un ralliement des Européens aux positions du FMI et l’abandon par ce dernier de ses demandes de réformes radicales, notamment sur les retraites. Dans ce débat, Alexis Tsipras avait, du reste, choisi son camp : il n’a cessé pendant un an et demi de dénoncer le FMI, espérant ainsi pouvoir mieux négocier, seul, face à ses créanciers européens.
Impuissance grecque

Mais toute cette stratégie s’est révélée perdante. Avec le troisième mémorandum, la Grèce a définitivement perdu la maîtrise de son destin. (...)

comme les précédents, ce mémorandum était irréaliste dans ses exigences. Cet irréalisme a une fonction : celle de maintenir une pression permanente sur le gouvernement grec et, finalement, le réduire à l’impuissance. Aussi, face à Athènes, les créanciers peuvent toujours présenter une ligne non remplie de « réformes » qu’il faut réaliser avant de toucher les fonds promis. Ceci contraint Athènes à devoir accepter une tutelle permanente qui ne lui laisse aucune marge de manœuvre réelle. (...)

Parallèlement, la capacité de résistance d’Alexis Tsipras aux exigences des créanciers n’a guère été démontrée. Mieux même, les excellents résultats budgétaires de la Grèce (l’excédent primaire - hors service de la dette a été de 2 % du PIB en 2016 contre un objectif de 0,5 %), n’ont guère donné plus de force à la parole du gouvernement grec, comme l’a prouvé l’épisode de la prime aux retraités du mois de décembre. Voulant utiliser une faible partie de l’excédent, Alexis Tsipras avait annoncé une prime aux pensionnés les plus fragiles. Les créanciers ont réagi vivement, suspendant les mesures de réduction des intérêts futurs décidés un peu plus tôt, avant d’accepter cette prime moyennant un engagement futur à renoncer à toute annonce de ce type. (...)

Croissance fragile et insensible

Le retour à la croissance est lui même très fragile, dépendant largement du contexte de négociations avec les créanciers. De plus, même si le taux de croissance promis par la Commission européenne en 2017 (2,7 %à, se réalisait, ceci ne réglerait en rien le problème du gouvernement : cette reprise est non seulement tardive, mais, acquise avec des baisses de salaires et de dépenses sociales, elle ne sera pas en mesure de réduire les inégalités et les maux de la plupart des citoyens grecs. L’OCDE a récemment montré combien ce type de croissance renforçait les inégalités. (...)

L’impossible décision « politique »

La colère d’Alexis Tsipras s’explique donc sans doute par ce sentiment d’avoir été joué, une fois de plus. Alors qu’il a cherché en permanence des négociations avec ses créanciers, il s’est retrouvé en permanence face aux exigences de l’Eurogroupe. En bref, alors qu’il voulait une négociation « politique », Alexis Tsipras a été renvoyé à des discussions « techniques ». (...)

Cette semaine doit donc déterminer de nouveaux « efforts » et de nouvelles « réformes ». Un travail de Sisyphe qui, évidemment, épuise le pays et sa population. Alexis Tsipras est donc enfermé dans une stratégie perdante, condamné à pousser au bout une logique dont l’absence de résultats a fait ses preuves. (...)

Wolfgang Schäuble, en juillet 2015, avait proposé la sortie de la Grèce de la zone euro pour « cinq ans ». Cette option avait alors été rejetée par Angela Merkel, mais le ministre fédéral des finances n’a pas dit son dernier mot. Il a placé un vers dans le mémorandum qui a fini par le ronger et qui, inévitablement, va venir reposer la question. Wolfgang Schäuble avance dans son projet propre d’organisation européenne conforme à son fameux projet de 1994, signé avec Karl Lamers : celle d’un « noyau dur » de la zone euro. Et dans les deux cas cités plus haut, cette option va se rapprocher : il s’agira de corriger la zone euro actuelle, soit par une exclusion des « mauvais élèves », soit par une correction encore plus sévère avec plus de réformes et plus de conditions d’excédents primaires après 2018. Dans les deux cas, il s’agit aussi de présenter de nouvelles règles non-écrites aux autres pays de la zone euro pour l’avenir : s’ajuster unilatéralement ou sortir. Au-delà de la Grèce, c’est donc l’avenir de la zone euro qui se joue en Grèce : si les plans de Wolfgang Schäuble s’appliquent, c’en sera fini des rêves de zone euro plus équilibrée et plus solidaire.(...)

le FMI est conscient de la situation et reste prudent pour ne pas déclencher la crise. Mais cette prudence ne saurait durer éternellement : le programme se termine dans moins de deux ans. En tout cas, toutes les conditions d’une nouvelle déflagration sont réunies et cette dernière semble inévitable.

Quant à Alexis Tsipras, il ne peut rien faire contre cette logique infernale dont il est à la fois spectateur et victime. Il voit le piège se refermer lentement, à mesure que le FMI s’éloigne du programme. Il tente donc de se raccrocher à une fantomatique stratégie « politique », mais il sait que son sort et celui du peuple grec ne dépendent que du bon vouloir de l’Eurogroupe, c’est-à-dire de Wolfgang Schäuble.