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Grèce : d’un janvier 2015 couleur cerise à janvier 2016 aux teintes grises
Esquisse d’un bilan d’un an de gouvernement Syriza
Article mis en ligne le 31 janvier 2016
dernière modification le 25 janvier 2016

Le 25 janvier 2015, le parti Syriza remportait les élections législatives et, pour la première fois, la gauche arrivait au pouvoir en Grèce. Isolé dans une Union européenne appliquant quasi-unanimement l’austérité. Un an après, qu’a-t-il appliqué de ses promesses ? Quelles sont les évolutions et les blocages ?

Le 21 janvier 2016, au « Forum économique mondial », à Davos, le Premier ministre grec monte sur le podium pour un débat sur « le futur de l’Europe ». Alexis Tsipras intervient aux côtés de Manuel Valls, le Premier ministre français (Parti Socialiste), Mark Rutte, celui des Pays-Bas (Parti populaire libéral et démocrate), Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances (CDU, parti chrétien-démocrate), Robin Niblett, le directeur de la Chatham House (think tank en relations internationales) et Emma Marcegaglia, la PDG d’ENI Spa (société italienne d’hydrocarbures). L’image peut surprendre. Alexis Tsipras, leader de Syriza, un parti grec de la « gauche radicale » selon l’acronyme |1| dans le temple de l’ultra-libéralisme ! Qu’est-il allé chercher ? Est-ce l’ultime symbole d’une conversion au néolibéralisme ? « Tout le monde va à Davos aujourd’hui », ironise un rédacteur en chef d’un important journal suisse. « Alexis Tsipras essaye de construire des alliances internationales. Il espère notamment obtenir un accord sur la dette », explique Yannis Albanis, journaliste, et ancien cadre de Syriza qui a depuis quitté les rangs de ce parti. Pour celui-ci, « tous ces voyages, comme ceux d’Euclide Tsakalotos [l’actuel ministre des Finances, NDLR] visent à construire l’image du Premier ministre ; il faut montrer qu’il n’est pas isolé et qu’il est respecté sur la scène internationale. »

Il y a un an, l’arrivée de Syriza en tête des élections défrayait les chroniques partout dans le monde. Une « victoire historique » : tel était le leitmotiv qui s’affichait en gros dans la plupart des journaux. A 22h20, devant la foule massée à Athènes, Alexis Tsipras s’exprimait : « Aujourd’hui, nous avons mis fin à l’austérité. Nous disons que la troïka appartient au passé. (...) Nous devons maintenant construire ensemble notre pays sur de nouvelles bases. Il n’y a ni vainqueurs ni vaincus. C’est la Grèce digne, la Grèce juste, la Grèce qui travaille, la Grèce de la connaissance qui a gagné. » Cette élection indiquait une rupture : le pays devait sortir de la crise dans laquelle il était empêtré, et tourner le dos aux politiques d’austérité menées depuis 2010.

Un pays exsangue (...)

Le 11 août, Athènes et ses partenaires finalisent les modalités du 3e plan d’aide d’un montant de 86 milliards d’euros sur trois ans. Le 14 août, le Parlement grec adopte ce nouveau plan grâce aux voix de l’opposition mais Tsipras perd 25 de ses députés, le privant de la majorité parlementaire.

Un tournant fondamental

C’est un tournant fondamental aux implications multiples : démocratiques, politiques, économiques et sociales, en Grèce et en Europe. Toutes les lois hellènes sont désormais conditionnées, quand elles ne sont pas réellement dictées, par le 3e mémorandum. Après ce « coup d’État », un gouvernement démocratiquement élu d’un État-membre de l’UE peut-il agir souverainement ? Dette et chantage à la sortie de l’euro ont une fois encore été utilisés pour faire plier un gouvernement.

C’est sur ces questions que, six mois après son arrivée au pouvoir, Syriza se scinde |6|. (...)

Des marges de manœuvre... plus que limitées

La « phase 2 » commence. Sur le plan économique, l’objectif affiché du gouvernement est d’utiliser les « marges de manœuvre dont nous disposons pour développer une politique de gauche » |7|. Tout d’abord, les banques ont été recapitalisées. Différentes lois sont à l’étude. L’une d’entre elles, soumises aux créanciers le 4 janvier, provoque déjà d’importants remous dans la population... et l’insatisfaction des créanciers. Il s’agit de la loi sur les retraites, comportant une nouvelle baisse des pensions. Giorgos Katrougalos, l’actuel ministre grec du Travail, de la Sécurité sociale et de la Solidarité nationale en explique l’esprit qui a guidé le gouvernement : « notre objectif a été de réduire les coûts en protégeant les plus faibles » |8| et il souhaite « mettre en place une forme de justice sociale » |9|. C’est « un nouveau pillage des retraites », rétorque Dimitris Stratoulis |10|, ex-ministre en charge de ce dossier dans le gouvernement Tsipras 1, qui a depuis quitté Syriza. Quant à l’opposition (ND, Pasok, To Potami), elle est vent debout contre cette réforme... bien qu’elle ait fait passer toutes les coupes antérieures. Le gouvernement n’obtiendra donc pas « l’unité nationale » qu’il espérait à la Vouli pour faire passer ce texte. Sa marge de manœuvre est réduite, entre sa faible majorité (153 sièges sur 300) et les injonctions des créanciers. (...)

Selon Elstat, l’office grec des statistiques, la pauvreté frappe environ 35% de la population et 3,9 millions de personnes sont en état de pauvreté.

Pour pallier à cette misère, des « interventions d’urgence » sont énumérées dans le programme de Thessalonique : électricité gratuite jusqu’à 300 kWh par famille pour 300000 ménages sous le seuil de pauvreté, programme de repas subventionnés pour 300000 familles sans revenu, programme de garanties de logement, rétablissement de la prime de Noël pour les retraités ayant une retraite inférieure à 700 euros, gratuité des soins médicaux et pharmaceutiques pour les chômeurs non assurés... Une « carte de solidarité » a été mise en place et 145330 familles l’ont en leur possession. 2400 autres devraient l’obtenir prochainement. Le 25 janvier 2016 a été effectué le 7e versement pour l’alimentation, entre 70 et 220 euros. 90000 familles sont fournies gratuitement en électricité. L’aide au payement du loyer concerne 30575 bénéficiaires. Selon différentes sources, de nombreuses familles continuent de faire la demande pour obtenir ces aides, et leurs dossiers sont actuellement à l’étude. En revanche, le processus pour dispenser une aide de santé à ceux qui n’ont pas de couverture sociale est en cours d’élaboration, précise un responsable du Ministère de la santé à micro fermé. Tout en s’interrogeant sur la possibilité qu’aura Alexis Tsipras de réellement appliquer cette mesure.

Quand deux logiques s’affrontent, une seule l’emporte ?

La logique des créanciers est effectivement tout autre que celle d’Alexis Tsipras qui souhaitait montrer qu’une autre voie était possible au sein de l’Europe et qui espérait contribuer à la réformer de l’intérieur. Alors qu’il voulait améliorer le sort des Grecs et relancer l’économie grecque, il se retrouve désormais à gérer la pauvreté, à appliquer l’austérité en essayant de protéger les plus défavorisés et à faire passer en Grèce un plan qui comporte aussi la privatisation d’un certain nombre de biens publics. (...)

Le gouvernement est parvenu à faire passer des lois « sociétales » : protection des droits des personnes incarcérées (suppression des prisons de haute sécurité), pacte civil qui accorde aux couples de même sexe les mêmes droits que les couples mariés, libertés politiques et civiles ... Sans nul doute, le gouvernement d’Alexis Tsipras est plus progressiste et démocrate que le précédent en la matière. Mais combien de temps cette logique pourra-t-elle tenir dans le cadre du mémorandum ?

Le gouvernement en place espère en un changement du rapport de force : « Depuis la fin des négociations de juillet, la configuration est nouvelle au sein de l’Europe. Avant, nous étions seuls contre tous ; pendant les négociations, nous avons gagné le soutien de la France et de l’Italie, puis ce soutien s’est élargi. Les résultats électoraux au Portugal et en Espagne prouvent que le front anti-austérité prend de l’ampleur dans d’autres pays aussi. »

Le journaliste Yannis Albanis estime, lui, que « les politiques de la zone euro sont élaborées au niveau de l’UE et de la BCE. » Et de poursuivre : « je ne sais pas ce que peuvent réellement faire les gouvernements nationaux aujourd’hui » tout en soulignant que « le gouvernement ne croit pas dans le mémorandum mais est obligé de l’appliquer ».
C’est donc bien la question de la signature, sous la contrainte, le 13 juillet 2015 qui est posée, mais aussi, et surtout, celle du vote par le Parlement. « Nous assistons aujourd’hui au retrait violent de tout ce qui constituait le noyau dur de Syriza avec l’application de politiques d’austérité très dures et la subordination aux exigences des memoranda ». Pour l’ancienne présidente de la Vouli, « ce qui est demandé à la Grèce est de céder sa souveraineté parlementaire et populaire pour payer une dette qui n’est ni légitime, ni légale ». Les conclusions du comité d’audit de la dette ont toutefois disparu du site de la Vouli. Un signe des temps ? (...)

Le programme pré-électoral n’aura pas résisté à la machine européenne.