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Grèce : Trois femmes sous l’austérité
Article mis en ligne le 11 octobre 2017
dernière modification le 10 octobre 2017

En Grèce, la vie se conjugue au présent, pas au futur. À Athènes, axelle (www.axellemag.be) a rencontré trois femmes qui nous ont confié leur quotidien. Leurs témoignages permettent d’incarner concrètement les conséquences des mesures d’austérité, prises sous la pression des institutions internationales européennes et financières.

La crise touche sévèrement la Grèce depuis 2010. Le taux de chômage est de 22 % : 26 % chez les femmes et 18 % chez les hommes. Ces chiffres ont certes diminué récemment, mais la réalité sociale demeure inchangée. Les femmes que nous avons rencontrées avaient des rêves ; elles les ont enterrés le long du chemin, à force de perdre leurs illusions, de serrer les dents pour se débrouiller jour après jour. Elles ne pensent plus à demain. (...)

Piereta Petani a 21 ans. « Cela fait deux mois que je cherche un travail. Je vais attendre que la saison d’été se termine, et je serai ensuite peut-être plus chanceuse », nous explique-t-elle lorsque nous la rencontrons dans le quartier touristique de Plaka, au cœur d’Athènes.

Après ses études secondaires, Piereta a travaillé dans un café. « J’ai toujours rêvé de devenir photographe. Pour me former, il fallait que je m’inscrive dans une école privée, car les institutions publiques n’ont aucun équipement : j’aurais eu l’impression de perdre mon temps. » Les parents de Piereta ne pouvant pas l’aider, elle a dû travailler pour financer ses études.

En Grèce, le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans est le plus élevé de l’Union européenne : 44,4 %. (...)

« Les cafés, les bars et les restaurants sont les seuls endroits où vous pouvez trouver du boulot actuellement. Mais les annonces sont humiliantes », explique Piereta. Parfois, les employeurs/euses indiquent rechercher une employée « jeune et attirante ». « Si une femme n’est ni jeune ni attirante aux yeux de l’employeur, elle aura beaucoup de difficultés à trouver du travail dans ce domaine », déplore-t-elle. (...)

Dans tous les bars où Piereta a travaillé, elle était officiellement employée à mi-temps. Ainsi, les employeurs/euses échappaient à l’inspection du travail, dotée de peu de moyens. Et, au fait, pour quel salaire ? « Trois euros de l’heure. C’est standard. On gagne environ 25 euros par jour. Ce n’est pas un salaire : personne ne peut vivre comme un•e adulte indépendant•e avec cette somme. »

Piereta a terminé son école de photographie et, pour l’instant, est sans emploi. « J’ai travaillé régulièrement depuis trois ans, mais officiellement je n’ai travaillé que quelques mois, puisque mes patrons m’ont forcée à signer un engagement soi-disant à mi-temps. En conséquence, je n’ai pas droit aux allocations de chômage », explique-t-elle.

Après 20 ans, toujours étrangère

Une autre difficulté pour Piereta est sa nationalité : ses parents albanais-es se sont installé-es en Grèce au début des années 90. « J’avais deux ans. Vingt ans plus tard, je n’ai toujours pas de papiers grecs », explique-t-elle, décrivant la manière dont la bureaucratie la force à payer sans cesse des frais de traduction et de documentation. Sa nationalité est une source de discrimination dans sa recherche d’emploi : « L’employeur/euse me demande d’où je viens, mais, après ma réponse, il/elle n’est plus intéressé-e. » (...)

Irini raconte que son déménagement a été favorisé par la crise des réfugié-es et la déception vis-à-vis de Syriza, le parti de gauche au pouvoir depuis janvier 2015. « J’ai vu la situation des réfugié-es à la télévision et j’ai décidé de rejoindre des initiatives de solidarité. Je ne pouvais pas regarder tout cela de loin. » Elle pense que le gouvernement n’a offert aucune solution concrète. Et cette déception rejoint celle qu’elle ressent à l’égard de Syriza, qu’elle soutenait depuis des années. « Je ris, maintenant, quand je repense à la façon dont je croyais au système social que Syriza défendait, se souvient-elle. Comment peut-on rêver autant ? Et à quel point peut-on tomber de haut face à la réalité ? » (...)

Irini vit désormais dans un petit studio qu’elle partage avec une colocataire et travaille dans un magasin d’art. « Au début, on m’a promis de me faire travailler huit heures par jour et cinq jours par semaine. Les cinq jours sont devenus six et, jusqu’à présent, mon contrat est à mi-temps. Mon salaire me permet de payer mon loyer, mais rien d’autre », raconte-t-elle. Alors que certain-es de ses ami-es lui envoient des messages depuis leurs vacances, Irini, elle, est restée à Athènes cet été. « Je n’ai pas les moyens de partir en vacances. Je travaille quasiment tous les jours. »

« J’aimerais être mère, confie enfin Irini. Mais dans ces conditions, je n’ose pas imaginer à quoi va ressembler mon avenir. Chaque mois, c’est la lutte. Pas pour vivre, mais pour survivre. » (...)

Katerina, son mari Stefanos et leur fils Aris vivaient dans un petit rez-de-chaussée, mais étant donné qu’à la fin des années 2000, leur situation était stable, la famille a décidé d’acheter un appartement. « Je n’oublierai jamais 2010, l’année où ma vie a changé, confie Katerina. Nous avons pris un crédit pour notre appartement et, dans les jours qui ont suivi, mon mari est tombé gravement malade. Quelques mois plus tard, j’ai perdu mon travail dans chacune des trois écoles où j’enseignais. Ma vie s’est effondrée. »

L’austérité détruit tout

En 2010, après avoir demandé l’aide internationale (voir les articles suivants), la Grèce s’est vu imposer de prendre toujours plus de mesures d’austérité afin de rembourser sa dette. Ces mesures – qui se sont encore aggravées depuis – ont particulièrement impacté les citoyen-nes, comme Katerina.

« Les écoles voulaient employer des enseignant-es au rabais et se passer des ateliers théâtre. Je me suis tout à coup retrouvée sans emploi, avec mon mari malade et un emprunt à rembourser. » Katerina pense que sa vie s’est effondrée à cause des mesures d’austérité, qui l’ont laissée totalement sans soutien de la société. « J’étais déprimée, je voulais mourir. Heureusement, mon fils avait un emploi et a pu nous aider », se souvient-elle.

Mais vivre avec l’argent de son fils mettait Katerina mal à l’aise. Dès que son mari s’est rétabli, elle a cherché des solutions. « Sur internet, j’ai découvert la technique du macramé. Je m’y suis mise en me disant que je pouvais le faire toute seule. » Ce travail créatif lui a aussi permis de se remettre moralement sur pied. En vendant ses productions sur des marchés, elle a fait de nouvelles connaissances. « J’ai rencontré une personne qui est maintenant mon patron à l’école de théâtre où je travaille. Je suis payée 300 euros, au moins j’ai un petit salaire », explique Katerina. Elle exerce huit mois par an, mais quand l’école est fermée, elle ne touche rien. (...)

« J’essaie de ne pas penser à ma pension. Je dois au moins travailler jusqu’à mes 65 ans. Mais avec mon revenu actuel, ma retraite sera limitée », précise-t-elle. La plupart des amies de Katerina, du même âge qu’elle, ont décidé de prendre leur retraite de manière anticipée par crainte d’être coincées par la crise économique. « Elles vivent maintenant avec 300 ou 400 euros de retraite, en devant aussi soutenir des enfants ou des petits-enfants sans emploi. C’est la réalité de l’austérité en Grèce », conclut Katerina en préparant son petit sac de bijoux pour les vendre, ce soir, dans les rues d’Athènes.