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Grèce Mamadou Bah : La voix des sans-voix. Témoignage d’un survivant… et d’un résistant !
Article mis en ligne le 16 octobre 2013

Nous avons eu le privilège d’interviewer Mamadou Bah, un rescapé de la barbarie sanguinaire d’Aube Dorée. Un des rares qui, malgré les risques redoublés qu’il encourt de ce fait, a eu le front de dénoncer publiquement sa quasi mise à mort au cours d’une des « expéditions punitives » nocturnes menées systématiquement dans les quartiers immigrés. Une des tactiques privilégiées par les néo-nazis, avec les « soupes populaires » réservées aux pauvres… blancs et les attentats ciblés contre la gauche, en vue d’imposer progressivement leur dictature sur le terrain.

(...) " que les choses soient claires : si Aube Dorée pourchasse aussi les militants de gauche, ce n’est pas cette activité qui m’a valu d’être agressé par ses milices. Quand ils m’ont attaqué, il ne savait pas qui j’étais, pour eux, je n’étais « qu’ » un Africain parmi tant d’autres, tout juste bon à crever sous leurs coups. (...)

C’était la nuit du 22 au 23 mai, le vendredi, vers trois heures du matin. Comme il n’y avait pas beaucoup de clients, je suis parti plus tôt, et suis allé comme d’habitude prendre mon bus. Je vais toujours au même arrêt, un peu isolé, bien que je sache que pour les gens d’Aube Dorée, c’est « leur heure ». À l’association des Guinéens, j’ai déjà recueilli le témoignage de compatriotes qui ont été agressés, pour consigner ces attaques, et soutenir ces camarades dans leurs démarches, médicales, administratives ou juridiques… Donc, je connais le « modus operandi » de ces tueurs. Ils tournent dans les quartiers, de véritables « caravanes » de cinq à dix motos , avec deux hommes sur chacune, armés de barres de fer et de poignards.

Mais il fallait bien que je rentre chez moi, je n’allais pas rester au resto toute la nuit. Dans mon abribus, brusquement, je les ai vu arriver de loin, descendant la rue : à près d’un kilomètre, mais bien visibles avec leurs phares, car c’est une longue ligne droite. J’ai assez vite identifié combien ils étaient, quatre ou cinq motos. Comme ils approchaient, j’ai les ai reconnu à leur « uniforme » : pantalon et veste militaire, tee shirt noir, bien bâtis : des vrais costauds…

Ils filaient droit sur moi, je me suis dit que si je m’enfuyais, cela me « dénoncerait » immédiatement à leurs yeux. J’ai donc choisi de leur tourner le dos et mis ma capuche, pour qu’ils ne voient pas ma figure. Ça a marché avec le premier de la bande, qui est passé devant moi sans rien remarquer. Mais le conducteur de la deuxième moto s’est arrêté et m’a dévisagé. Il a aussitôt rameuté les autres, avec l’espèce de sifflet très puissant qu’ils ont toujours sur eux, leur moyen de ralliement pour mener leurs assauts.

La première moto a stoppé net, une cinquantaine de mètres plus loin, et ensuite la troisième et la quatrième, qui arrivaient derrière. J’étais coincé. Comme le gars qui m’avait repéré s’avançait vers moi, je suis parti à reculons, pour pouvoir me défendre. Il m’a alors demandé « Qu’est-ce que tu fais en Grèce, chez nous ?! » (...)

ce qui m’a le plus effrayé, c’est qu’après cette première agression, ils ont sans doute su que je n’étais pas mort, puisqu’ils n’ont pas vu dans les médias la nouvelle d’un Africain retrouvé tué en rue, et sont retournés sur les lieux de leur crime. Pire : maintenant, ils ont repéré où je travaille !

Comme ils m’avaient raté de justesse, quatre semaines plus tard, ils sont revenus roder dans le coin. (...) Comme si mon malheur n’était pas suffisant, j’ai donc dû abandonner mon boulot, car c’était trop dangereux d’y retourner. (...)

J’habite à présent avec des camarades guinéens : j’ai aussi quitté mon logement (j’avais fini par prendre un appartement seul), car je préfère être entouré, et ce sont eux et d’autres amis qui m’aident à survivre.

De toute façon, désormais, la seule chose qui m’importe, c’est de dénoncer ce que j’ai vécu, et qui menace mes frères et mes sœurs étrangers dans ce pays. À cause de la couleur de notre peau ou de notre apparence, notre origine… Car il n’y a pas un Africain qui va bénéficier du secours, ni recours, de la police. (...)

Quand Aube Dorée quadrille les quartiers populaires, à la recherche de ses victimes, ses « patrouilles » croisent celle de la police, et ils se saluent : ils se connaissent très bien. Pas demander si la police « laisse faire » : elle les encourage même !

Pire encore : les membres d’Aube Dorée distribuent massivement des tracts avec une sorte de « numéro vert », où les gens peuvent les appeler, s’ils ont « des problèmes » avec des Étrangers. Alors, plutôt que de faire appel à la police, ce qui est déjà un risque énorme pour nous, vu le racisme qui y règne, une partie de la population a pris l’habitude de s’adresser directement à eux. (...)

Moi, partout où je serai dans le monde, je militerai ! Ce sera mon champ de bataille. J’aimerais aider les gens qui n’ont pas de voix, être la voix des sans-voix. Il faut que les gens sachent dans quel climat de terreur, quel traumatisme permanent on vit ici ! (...)

On commence à être tous visés ! Il faut que les gens le comprennent, ce n’est pas seulement « le problème de Mamadou », ni mêmes « des Africains » ou « des Étrangers ». (...)

Les Africains sont devenus de vraies cibles ambulantes, en Grèce. Tu montes dans le bus, il y a cinq flics qui montent à l’arrêt et te font descendre devant tout le monde, on te fouille, te contrôle… Et quand c’est fini, après trente-cinq ou quarante minutes, le bus est évidemment reparti, et tu peux attendre le suivant, ou continuer à pied… et tu arrives en retard au boulot, tu as des ennuis avec ton patron, parfois il te vire…

Il est temps de dire : Stop ! Tous ensemble…