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Grands projets destructeurs : l’esbroufe de la « compensation écologique »
Article mis en ligne le 6 septembre 2019

Dans 80 % des cas, les mesures de compensation ne permettent pas d’éviter une perte de biodiversité. C’est ce que montre une étude scientifique menée sur 24 projets d’infrastructures en Occitanie et dans les Hauts-de-France.

Est-il possible de concilier développement des constructions et préservation de la biodiversité ? La loi française est censée le garantir. Elle oblige, quand un projet détruit un milieu naturel, à ce qu’il y ait « compensation » sur un autre territoire. Mais dans 80 % des cas, l’objectif ne serait pas atteint. La destruction des milieux naturels serait supérieure au « gain » de biodiversité obtenu par la compensation. (...)

C’est ce que calcule une étude réalisée par des scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle et d’AgroParisTech, tout juste parue dans le numéro de septembre de la revue Biological Conservation. Elle est intitulée « Biodiversity offsetting : Certainty of the net loss but uncertainty of the net gain », soit, en français, « Biodiversité : certitude de la perte nette mais incertitude du gain net ».
La loi demande d’atteindre zéro « perte nette » de biodiversité (...)

« Nous avons décidé de prendre au mot les textes et déclaration officiels », poursuit la chercheuse qui avoue qu’elle et son équipe avaient une petite idée du résultat : dans la majorité des cas, la biodiversité est perdante. « Nous voulions mesurer, objectiver la balance entre pertes et gains. »

Les scientifiques ont donc épluché les dossiers administratifs de 24 projets (16 routes et autoroutes, une voie ferrée, deux aqueducs souterrains, trois gazoducs). (...)

Seuls 20 % des compensations sont réalisées sur des terres réellement dégradées, telles que des friches industrielles (...)

La biodiversité affectée par le projet infrastructure est précisément décrite : espèces animales et végétales sont listées, leurs habitats décrits. En revanche, l’état précis des zones choisies pour mettre en œuvre les mesures de compensation manque le plus souvent à l’appel : « Les descriptions étaient superficielles, par conséquent l’état écologique des sites de compensation n’était pas déterminé, et les actions pour y augmenter la biodiversité apparaissaient hypothétiques », écrivent-ils. Or, comment évaluer les gains en biodiversité si l’état écologique de départ n’est pas connu ?

Une disproportion confirmée par les chiffres (...)

« Par ailleurs, soulèvent les auteurs, la surface totale des sites de compensation est la somme de beaucoup de petits sites alors que les zones impactées sont plutôt des parcelles d’un seul tenant. (…) La compensation doit encourager la biodiversité, et devrait choisir de grandes zones. Au lieu de cela, elle est mise en place sur une myriade de petits sites, ce qui rend encore plus compliquée l’obtention de gains de biodiversité. »

C’est en choisissant des terres réellement dégradées, comme celles épuisées par une agriculture intensive, que les compensations sont les plus efficaces.
(...)

les aménageurs vont au plus facile. « Ils vont chercher des terres libres, donc souvent des terres naturelles, poursuit-elle. Les exploitations agricoles intensives ne vendent pas leurs parcelles, et personne ne veut mettre l’argent nécessaire pour désartificialiser un ancien site d’usine. Cela coûterait trop cher. »
« On ne regarde que les espèces les plus emblématiques »

Les mesures de compensation envisagées sur les sites ont elles aussi été examinées par les scientifiques, qui constatent que dans plus de la moitié des cas, « la totalité des actions de compensation mises en place sur le site ne concernent qu’une seule des caractéristiques de l’écosystème. » (...)

« Sur le site du projet, on va relever en moyenne 200 ou 250 espèces et à la fin la compensation ne concernera que 5 ou 10 espèces. On ne regarde que les espèces les plus menacées et emblématiques localement », regrette Fanny Guillet. (...)

« La compensation fonctionne très mal », en conclue-t-elle. « Il ne faut pas compter là-dessus pour freiner l’impact des aménagements sur la biodiversité. Pourtant, la loi de 2016 sur la biodiversité dit que si la compensation n’est pas satisfaisante, le projet ne peut être réalisé en l’état. Beaucoup de projets auraient dû être bloqués. Il aurait dû y avoir un tri entre les projets réellement d’intérêt public et les autres. Notre rôle est de pointer cette incohérence des politiques publiques. »

La balle est donc dans le camps des décideurs. D’autant plus que les résultats de cette étude sont en voie d’être confirmés ailleurs en France. (...)