Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Elle
Giulia Foïs : « Céder, ce n’est pas consentir »
Giulia Foïs « Je suis une sur deux » (éd. Flammarion). En librairie le 4 mars.
Article mis en ligne le 3 mars 2020

La journaliste signe un livre dans lequel elle raconte le viol qu’elle a subi à l’âge de 20 ans et le procès qui a suivi. Un choc.

ELLE. Votre livre s’intitule : « Je suis une sur deux ». Pourquoi ?

Giulia Foïs. J’ai commencé à sortir la tête de l’eau quand j’ai admis que ce qui m’était arrivé ne m’était pas arrivé parce que « je l’aurais provoqué », mais parce qu’on vivait dans un système qui autorisait le viol, qui le permettait, voire, à certains égards, qui l’encourageait. La réalité de notre monde, c’est qu’une femme sur deux sera au moins une fois atteinte par au moins une forme de violence sexuelle dans sa vie. Ce chiffre est une gifle. Quand j’ai réalisé que nous étions aussi nombreuses, j’ai commencé à remettre du sens dans le chaos. Car un viol, c’est une « injection » de chaos dans votre vie.

ELLE. « J’ai eu de la chance, j’ai eu le bon viol », écrivez-vous. C’est quoi, le bon viol ?

Giulia Foïs. Le viol est un impensé total. Le viol, il faudrait que ça arrive en pleine nuit, que ce soit le fait d’un étranger, de quelqu’un qui surtout ne nous ressemble pas, un genre de loup-garou pris de pulsions face à une personne qui le provoque. Aujourd’hui encore, 42 % des Français pensent que, quand une fille porte une jupe, le viol est un peu moins un viol. Dans mon cas, il y avait une arme, un cutter, et une lacrymo, c’était à 21 h 30, sur un parking, et j’étais en pantalon, on peut donc raisonnablement penser que je n’étais pas d’accord, que je ne cherchais pas les ennuis. De plus, je ne le connaissais pas, donc je ne peux pas avoir « induit » une forme de relation qui aurait pu « laisser penser que », etc. En ce sens, j’ai eu le bon viol. Le bon viol, c’est aussi parce qu’il est plus facile d’attaquer en justice un inconnu. Je n’ai eu aucun problème à le haïr. C’est plus compliqué de haïr un parent, un patron, un ami... Mais les viols comme le mien sont ultra-minoritaires : un sur dix. (...)

Ce moment est ancré en moi. J’ai pensé : si je continue à hurler, je vais crever et je n’ai pas envie de crever, donc je vais faire en sorte de vivre. Et ça, on vous le fait payer. Et puis je n’ai pas voulu pleurer pendant le procès, car je savais qu’il tirait de la jouissance à me voir à terre. Le viol n’est pas une histoire de désir, c’est une volonté de détruire. Je n’allais pas, en plus de ça, renoncer à vivre, respirer, manger, boire, baiser, jouir. Le deal est terrible : si tu veux qu’on te reconnaisse comme victime, alors fais ta victime, abdique ta vie de femme ! Sinon, c’est que cela n’était pas si grave.

ELLE. Et lui ?

Giulia Foïs. Ce n’était pas « le bon violeur », c’était un « comme nous » ! Il était père de famille, comme si ça empêchait de violer. Il était entraîneur d’une équipe de minimes et il payait ses impôts ! Je l’ai entendu, ça. La preuve que c’était un bon citoyen. Seulement 1 % des viols débouche sur une condamnation. Toutes les chances étaient de son côté à lui, pas du mien.

ELLE. On comprend mieux, à vous lire, pourquoi si peu de femmes saisissent la justice ! (...)

ELLE. Au bout de trois ans de procédure, votre violeur a été acquitté…

Giulia Foïs. Si j’ai éprouvé une certaine jubilation à écrire le viol, à rendre les coups, à reprendre la main sur le récit, raconter le procès m’a donné un mal fou. Ce truc-là n’est pas passé et a autant défini mon rapport au monde que le viol. Car cela veut dire que non seulement vous vivez dans un monde où l’on vous fait ça, mais où on a le droit de vous faire ça. Vous en sortez avec l’idée que vous êtes seule. On vous nie une deuxième fois.

ELLE. Vous parlez des vices de procédure, qui portent bien leur nom... (...)

Ses deux ex-femmes, qui avaient porté plainte pour violences conjugales, ne sont pas venues, elles ont dû avoir peur. À charge dans le dossier, il y avait aussi des prostituées, mais on n’a pas jugé bon de les convoquer. La parole d’une pute ne doit pas avoir beaucoup de valeur. Au bout d’un an de préventive, il a eu un comité de soutien, le vent a tourné, tout ce qui me restait à sauver, c’était ma dignité.(...)

Clémentine Autain et Virginie Despentes m’ont aidée à mettre des mots, à accepter, à ne plus nier les ravages, à transformer ma colère en action et en combat, ce qui était moins destructeur pour moi et plus constructif pour ceux qui m’entourent. Elles m’ont aussi confortée dans l’idée qu’il y a une vie après. Céder, ce n’est pas consentir, j’aime cette phrase. On respire mieux quand on comprend mieux. Un jour vient où on finit par accepter ce nouveau moi. (...)

Deux ans après, les témoignages se multiplient, la langue française intègre de nouveaux mots comme « féminicide », mais on sait le chemin qui reste à parcourir : une femme est tuée tous les deux jours sous les coups de son conjoint, une femme est violée toutes les sept minutes... Chaque mouvement de libération des femmes a été suivi par un retour de bâton. Alors, il faut aller vite : balance ton viol ! (...)