
Le comportement scandaleux d’élites dirigeantes qui ne font même plus semblant d’agir pour l’intérêt général mais bien avant tout à leur seul profit, a achevé de saper la confiance dans le système démocratique.Celui-ci ne peut exister sans la « vertu » qui consiste à placer le bien commun avant celui de quelques-uns.
L’irruption du mouvement des gilets jaunes dans le ronron habituel de la politique française n’a pas manqué de surprendre les observateurs les moins avertis ou plus exactement les plus convaincus par le prêchi-prêcha libéral qui sert de prêt à penser dans ce milieu. Pourtant, en prenant un peu de recul sur l’actualité, il n’est guère surprenant de voir jaillir la colère populaire. Essayons de faire un point, non exhaustif, sur les raisons de cette colère.
Depuis les années 80, le théorème Tatchérien « il n’y a pas d’alternative », a fini par s’imposer dans tous les pays dits développés. Les politiques néo-libérales : dérégulation, dérèglementation et décloisonnement des marchés financiers se sont imposées à tous. Ce big bang des marchés financiers, adossé à une idéologie du libre échange sans précaution, a permis aux détenteurs de capitaux de prendre le pouvoir sur l’ensemble de l’économie et par voie de conséquence sur les États eux-mêmes. Le chantage désormais bien connu, "si vous me taxez, je pars", a conduit les gouvernements dans une course sans fin, dévastatrice, au moins disant fiscal et social. L’institutionnalisation des thèses néo-libérales dans les instances de régulation économique internationales, l’indépendance des Banques Centrales et l’obligation pour les États de se financer auprès des marchés financiers a fait le reste. La puissance publique n’a plus la maitrise ni de sa monnaie ni de ses choix fiscaux et budgétaires. Les Gouvernements sont devenus les spectateurs et commentateurs d’une vie économique qui se fait sans eux : délocalisations, licenciements boursiers , désindustrialisation rythment depuis des années l’actualité sous le regard incrédule et angoissé des citoyens qui comprennent que, désormais, le développement économique ne se fait ni pour eux , ni avec eux mais sans eux et contre eux.
Inévitablement la libre circulation des capitaux et le libre échange ont conduit à une explosion des inégalités. (...)
L’appropriation commune, à des degrés divers, de ces politiques par la droite et la gauche social-libérale, a ruiné l’idée d’alternance et sapé la confiance dans la démocratie elle même. A quoi bon voter pour des gens qui conduisent plus ou moins la même politique et théorisent eux-mêmes leur impuissance face aux forces économiques ? La montée de l’abstention a suivi celle des inégalités comme c’était prévisible. Cette négation de la volonté populaire a parfois pris des formes violentes : refus du résultat des référendums en Europe, coups d’États à peine déguisés en Amérique du Sud, déclarations insensées de dirigeants « la démocratie s’arrête là où commencent les traités européens » … La post démocratie n’est rien d’autre que la substitution de la gouvernance par les marchés à la souveraineté des peuples s’exprimant par les urnes. (...)
Le comportement scandaleux d’élites dirigeantes qui ne font même plus semblant d’agir pour l’intérêt général mais bien avant tout à leur seul profit a achevé de saper la confiance dans le système démocratique qui ne peut exister sans la « vertu » , qui consiste à placer le bien commun avant celui de quelques uns. Le spectacle de rémunérations indécentes , de fraude fiscale , d’exil fiscal donné par ceux la mêmes qui exigent des efforts du peuple ne pouvait conduire, par son indécence, qu’à un profond sentiment d’injustice source de la montée des populismes.
La nouvelle économie est venue aggraver les fractures sociales. Peu ou prou, l’économie industrielle était inclusive pour les individus comme pour les territoires. La nouvelle économie, improprement nommée « de la connaissance », s’avère au contraire excluante. (...)
. A la fracture sociale s’ajoutent désormais la fracture et la relégation territoriales pour des pans entiers de la société.
Dans notre pays, qui s’est construit par l’État et la politique, les effets de ces évolutions ne pouvaient être que plus dévastateurs encore. Les Français croient en l’État mais leurs dirigeants n’y croient plus. Et il n’existe pas dans notre pays de structures intermédiaires du fait de notre histoire suffisamment fortes et légitimes pour se substituer à lui. Il en découle une société d’individus perdus et isolés sommés de s’adapter sans armes au monde nouveau. (...)
Enfin, tout ceci se produit dans un moment où nous sommes rattrapés, pour des raisons d’atteintes graves à notre éco-système, par une impasse productiviste. (...)
Tout est ainsi réuni pour une explosion sociale et une grave crise démocratique. La politique d’injustice d’Emmanuel Macron, son arrogance de classe et sa conception ultra-verticale de la politique auront mis le feu à une plaine asséchée par des années de néo-libéralisme.
Il nous reste à défendre, dans ce grand incendie, la possibilité d’une nouvelle espérance sociale et démocratique renouant avec l’idéal égalitaire et unitaire français. En cas d’échec, le risque est connu : la tentation autoritaire d’un peuple qui, croyant ainsi retrouver sa souveraineté grâce à un « homme fort », se privera des dernières armes lui restant pour reprendre en main son destin. Il est minuit moins cinq pour la démocratie.