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Géothermie et lithium font trembler les Alsaciens
#geothermie #lithium #Alsace
Article mis en ligne le 21 décembre 2022
dernière modification le 20 décembre 2022

Sous l’Alsace, assez d’eau chaude et de lithium pour lancer une transition bas carbone. Mais les dégâts causés par les premières tentatives d’exploitation ont créé un mouvement d’opposition dans la région.

Un peu avant 7 h du matin, vendredi 4 décembre 2020, Pascale et Marc Weber ont entendu un grand « boum » et senti leur maison trembler. Elle était encore dans son lit, lui déjà sous la douche. Sidéré, ce couple installé à Reichstett, petite ville de l’Eurométropole de Strasbourg, venait de vivre son premier tremblement de terre.

« On n’a pas vu les dégâts tout de suite. C’est notre voisin qui nous a fait remarquer qu’il y avait une grosse fissure sur le mur derrière la maison. Puis d’autres fissures ont commencé à apparaître du côté de l’entrée, sur notre papier peint, sur la crédence dans la cuisine, sur les carreaux du sol. » (...)

Ce séisme, d’une magnitude de 3,5 sur l’échelle de Richter, n’a pas été causé par le mouvement des plaques tectoniques mais par la main de l’homme. En mai dernier, une enquête a déterminé que cette secousse ainsi qu’un certain nombre d’autres épisodes sismiques comparables avaient été provoqués par l’activité de la centrale de géothermie profonde de Vendenheim, dans le Bas-Rhin, à quelques kilomètres de la maison de Pascale et Marc Weber. Cet incident et les interrogations qu’il a fait naître sont emblématiques des dilemmes de la transition énergétique sur ce territoire au douloureux passé minier.

Depuis plusieurs années, l’Alsace fait office de bonne élève de la transition énergétique. Grâce aux failles naturelles de son sous-sol dans lesquelles circule une eau à très haute température (entre 150 et 180 °C), cette région pense avoir trouvé la solution pour produire une énergie locale et bas carbone : la géothermie profonde. (...)

L’Alsace est ainsi, avec le bassin parisien et le bassin aquitain, l’une des régions les plus favorables à la géothermie profonde en France. Trois projets de centrales géothermiques ont été lancés à partir de 2018 avec l’objectif de chauffer l’équivalent de 23 000 habitations et de produire une consommation électrique équivalente à 50 000 logements. Mais la série de séismes provoqués par la centrale de Vendenheim exploitée par Fonroche a changé la donne. (...)

D’où la nécessité d’étudier régulièrement le sous-sol et ses réactions avant et pendant un forage géothermique. Ce que n’a visiblement pas fait l’exploitant de la centrale de Vendenheim. (...)

Les séismes liés à l’activité de la centrale ont continué même après sa fermeture, atteignant jusqu’à 3,9 sur l’échelle de Richter en juin 2021. Conséquences : tous les projets de centrales ont été gelés jusqu’à nouvel ordre autour de Strasbourg, imposant une forme de moratoire sur la géothermie profonde. (...)

Restent les maisons fissurées aux alentours de la centrale. Près de 4 000 dossiers ont été ouverts pour une indemnisation qui devrait s’élever à 2 500 euros dans la majorité des cas et à plus de 10 000 euros pour quelques situations. Pourtant, deux ans jour pour jour après le séisme, le couple Weber attend toujours. Devant le silence de Fonroche, ils ont dû avancer le prix de certains travaux de réparation. (...)

Les séismes provoqués par l’activité de Fonroche semblent en tout cas avoir brisé la confiance d’une partie de la population dans cette énergie décarbonée. Des habitants des villages limitrophes de la centrale comme Oberhausbergen se sont organisés en collectif pour lutter contre la reprise de tout projet de géothermie profonde. (...)

Si les projets de géothermie profonde restent en attente autour de Strasbourg, ils sont repartis de plus belle dans le nord du département, à la faveur d’un invité surprise : le lithium. (...)

« Notre objectif serait de produire 10 000 tonnes de lithium par an. Avec cette quantité, on pourrait construire environ 200 000 batteries de voitures », avance Julien Masson.

Mais de tels rendements nécessitent le forage de nouveaux puits géothermiques, raison pour laquelle Eramet s’est allié avec Électricité de Strasbourg, une filiale d’EDF qui gère les deux seules centrales existantes sur le sol alsacien, Soultz-sous-Forêts et Rittershoffen.

« Nous avons demandé des autorisations pour trois forages supplémentaires. Ils nous permettraient d’extraire assez de lithium pour 15 à 20 % des besoins de la France à l’horizon 2030 », dit Béatrice Pandelis, présidente d’Électricité de Strasbourg Géothermie. (...)

D’autres acteurs commencent à s’intéresser à ce potentiel, comme la société australienne Vulcan (déjà présente en Allemagne) et la société Lithium de France. Cette dernière a obtenu en juin dernier un permis exclusif pour prospecter sur un territoire de 170 km2 dans le nord du Bas-Rhin. Son objectif : trouver les zones les plus favorables à la création de nouveaux forages géothermiques. Ce qui déplaît fortement à certains habitants de cette zone rurale.

Muriel Ball et sa sœur Sabine Bubel habitent à Kuhlendorf, territoire concerné par ces prospections. Elles ont lancé une pétition en août dernier, signée par la majorité des 100 habitants de leur village. « On a déjà deux centrales géothermiques à quelques kilomètres à peine de chez nous, donc on n’en veut pas d’autres. On ne veut pas risquer nos maisons. Est-ce que Lithium de France a prévu des garanties si quelque chose se passe de travers ? » disent-elles en référence aux dégâts causés par la centrale de Vendenheim.

Devant la levée de boucliers de certains de ses administrés, Adrien Weiss, maire de la commune de Betschdorf (dont dépend Kuhlendorf) ne souhaite pas se prononcer avant d’avoir reçu les résultats de l’étude du sous-sol réalisée par Lithium de France. (...)

Mais d’autres municipalités concernées par ces permis de recherche sont déjà sur la défensive. (...)