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Mediapart
Génocide des Tutsis : Ntiwiragabo, le colonel sans papiers toléré en France
Article mis en ligne le 13 février 2022

Sans surprise, la France a refusé d’accorder l’asile au colonel Aloys Ntiwiragabo, au cœur d’une enquête judiciaire pour « crime contre l’humanité ». Mais la France ne veut pas l’extrader, en dépit de la demande rwandaise. Ni l’expulser, malgré son absence de titre de séjour.

Le club très fermé des personnalités étrangères sulfureuses que la France héberge sans leur accorder de titre de séjour, mais qu’elle se refuse à expulser, vient d’accueillir un nouveau membre : le colonel Aloys Ntiwiragabo. Ce ressortissant rwandais, suspect de « crime contre l’humanité » et « crimes de guerre », a été débouté de sa demande d’asile en septembre 2021, mais semble toléré dans l’Hexagone.

Au terme d’une enquête de huit mois, Mediapart avait révélé la présence de cet homme dans le Loiret le 24 juillet 2020, déclenchant l’ouverture d’une information judiciaire pour « crime contre l’humanité » par le parquet national antiterroriste, mais aussi l’envoi d’une demande d’extradition par le Rwanda, ainsi que la diffusion d’une notice rouge par Interpol. (...)

Jusque-là, seule Agathe Kanziga, veuve de l’ancien président Juvénal Habyarimana, pouvait se prévaloir de ce privilège très spécial qui lui permet de résider en France sans papiers après épuisement de tous les recours à sa disposition, mais sans crainte d’être expulsée. Bien que suspecte d’être elle aussi l’un des cerveaux du génocide des Tutsis en 1994, elle avait été accueillie dans l’Hexagone conformément aux vœux de l’ancien président de la République François Mitterrand.

Dorénavant, cela semble également être le cas d’Aloys Ntiwiragabo, ancien chef des renseignements militaires du Rwanda et officier le plus haut gradé échappant encore à la justice, mais aussi fondateur et dirigeant des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), l’un des pires groupes armés criminels d’Afrique centrale. Et cette fois, la situation ne doit rien à François Mitterrand.

Alors que le président Emmanuel Macron annonçait en 2021 un rapprochement « historique » et « irréversible » avec le Rwanda, l’affaire Aloys Ntiwiragabo vient ternir le tableau d’une « confiance retrouvée [qui] implique de poursuivre la coopération judiciaire entre nos pays », selon les mots du chef de l’État français. (...)

dans un mémoire enregistré en avril 2021, le directeur de l’Ofpra défend l’exclusion du statut de réfugié mais soutient que son « appartenance ethnique » justifie les craintes d’Aloys Ntiwiragabo en cas de retour au Rwanda.

Cette affirmation en dit long sur la grille de lecture biaisée et archaïque encore en vigueur dans l’administration française, puisque les catégories arbitraires et racistes assignées aux Rwandais·es durant la colonisation ont été méticuleusement effacées après le génocide.

Ainsi semblent persister à l’Ofpra non seulement cette idée que le Rwanda serait divisé entre deux « ethnies », mais aussi la conviction que les commanditaires « hutus » du génocide d’un million de Tutsis en 1994 seraient à leur tour menacés de persécution en raison de leur « appartenance ethnique » alléguée.

Ce motif ne sera finalement pas retenu par la CNDA. Mais l’existence de ce mémoire révèle que Julien Boucher, le conseiller d’État nommé à la direction de l’Ofpra par Emmanuel Macron, s’inscrit dans la continuité des diplomates qui l’ont précédé à ce poste. (...)

Pas d’éloignement en perspective à destination du Rwanda pour Aloys Ntiwiragabo. Et, selon l’ambassade du Rwanda à Paris, la France n’a pas non plus accusé réception de la demande d’extradition transmise par Kigali. À nouveau se pose donc la question de la situation administrative en France de cet homme suspecté des pires crimes. (...)

Une situation sur laquelle les autorités rwandaises s’interrogent sérieusement depuis un an. Dans un courrier adressé à son homologue français le 26 janvier 2021, le ministre rwandais de la justice réclamait la communication d’un certain nombre de documents relatifs au séjour en France d’Aloys Ntiwiragabo. Aucune réponse de Paris, selon les autorités rwandaises.

Dans un rapport publié le 19 avril 2021, le cabinet d’avocats américains Cunningham Levy Muse LLP, mandaté par Kigali, revient longuement sur les différentes révélations de Mediapart concernant le colonel Ntiwiragabo, mais aussi sur le dévoiement du droit d’asile par l’Ofpra dans divers dossiers rwandais. Les auteurs déplorent notamment le choix fait, selon eux, par la France « de protéger et non poursuivre les génocidaires », ainsi que de « dissimuler des documents cruciaux ». (...)

La quiétude dans laquelle semble avoir vécu l’ancien officier rwandais est d’autant plus déconcertante que la France s’est dotée depuis 2013 d’un Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH), chargé de traquer les personnes soupçonnées d’avoir commis lesdits crimes. Plus d’un an avant la parution de l’article de Mediapart, une occasion de démasquer Aloys Ntiwiragabo était offerte à ces enquêteurs. (...)

au moins 24 autres suspects ont pu résider en France sans jamais être inquiétés. Trois vivent aujourd’hui en Belgique et deux sont décédés.
Poursuites contre une journaliste

Aussi étrange que cela puisse paraître, Aloys Ntiwiragabo, de son côté, ne semble pas déstabilisé outre mesure par cette actualité autour de sa personne. Après avoir séjourné en France dans la plus grande discrétion ces dernières années, la première réaction de cet homme de 73 ans dont on ne trouve pas la moindre trace sur les réseaux sociaux fut d’attaquer en justice une journaliste pour une publication sur Twitter. (...)
En cause : un tweet de notre consœur qui reprenait notre enquête et s’interrogeait : « Un nazi africain en France ? Quelqu’un va réagir ? » (...)

Au cours de ses auditions par l’Ofpra et la CNDA, Aloys Ntiwiragabo n’a « jamais prononcé le terme de “génocide”, préférant les termes de “catastrophe regrettable”, et n’a fait état d’aucun remords quant à son parcours, ayant affirmé devant l’Office qu’il ne se reprochait rien ». La cour souligne son « adhésion totale aux idées politiques » du principal parti ayant organisé et encadré l’extermination.