
Lundi 4 mars 2013, dans une péniche parisienne pleine comme un œuf, Le Monde d’après Fukushima est projeté en avant-première en présence de son réalisateur Kenichi Watanabe. Un documentaire poignant et beau, dans lequel il revient sur la catastrophe du 11 mars 2011 et sur la vie des habitants depuis lors. Les lumières se rallument. Stupeur et tremblements.
Une semaine plus tard, je le retrouve dans un café du côté de Montparnasse.
L’homme semble serein, plein de douceur. Mais on le sent aussi habité d’une indignation violente. Marié à une Française avec qui il a un fils, Kenichi Watanabe vit en France, produit des documentaires pour la télévision française. Il s’exprime en français, mais c’est à la japonaise, en homme de contrastes - ou de nuances - avec le sourire et les yeux émus, qu’il vous parle du plus révoltant.
Le jour du séisme, Kenichi Watanabe est au Japon. Ironie de la situation, il attend une équipe de tournage de France parce qu’il réalise La Face cachée d’Hiroshima. L’équipe ne viendra pas. Lorsque l’ambassade française propose au réalisateur de rentrer par le premier avion, trois jours plus tard, partagé entre soulagement et culpabilité, il accepte. Et se le promet : il dira Fukushima.
Dès son arrivée en France, désastre chevillé au cœur comme une bombe de volonté et de colère, il négocie avec Arte pour son prochain documentaire. Le titre s’impose : ce sera Le Monde d’après Fukushima.
"LA RADIOACTIVITÉ, COMME L’ARGENT, N’A PAS D’ODEUR", s’exclame l’historien et journaliste américain Richard Rhodes dans le documentaire. Et Kenichi Watanabe le confirme. Au Japon, les chaînes privées sont baillonnées par les lobbies du nucléaire et le film n’a pu être diffusé que sur les chaînes publiques. Il explique aussi que Tepco, la compagnie productrice d’énergie nucléaire au Japon, verse de l’argent aux populations, échangé plus ou moins sous la table contre leur silence. De l’argent pour diviser, pour ne pas faire de vagues plus grosses que celle qui a ravagé le nord-est du Japon.
L’Etat japonais récemment devenu actionnaire principal, aide Tepco à gérer les conséquences de la catastrophe, à hauteur d’environ 13 milliards d’euros. "Tepco aurait encore besoin de 50 milliards d’euros équivalents. Si ce n’est plus ! ", estime Kenichi Watanabe. (...)
Le réalisateur insiste : "les gens de Fukushima -tous !- n’acceptent pas cette situation. Ils ne l’acceptent pas… Mais ils sont là." Attachés à leurs terres, ils savent que "là où sont [leurs racines], ces dernières sont pourries". "Tu ne feras pas d’enfants", vont jusqu’à dire certaines femmes à leurs filles. Douleur.
Kenichi revient sur les manifestations qui ont régulièrement lieu dans la moitié nord du Japon, et aussi devant la maison de l’ancien premier ministre, Naoto Kan, à Tokyo, tous les vendredis. Apolitiques, elles ne militent que pour l’arrêt du nucléaire. Alors comment cette même population a-t-elle pu élire un premier ministre pro-nucléaire ?
L’argument économique aurait fait mouche, d’après Kenichi Watanabe. Et puis il faut compter avec les industries et le sud du Japon, qui manifestement moins concerné par la catastrophe nucléaire que le reste du pays (...)
Ses prochains documentaires ? Ils se centrent sur la dimension scientifique des radiations, et sur l’histoire de l’atome. Ils posent la question de ce que signifie "être irradié". On sent toute son émotion lorsqu’il explique les parallèles entre Hiroshima et Fukushima. Comme Hiroshima, zone radiaoactive circonscrite avec précision, on essaie d’établir une zone définie à Fukushima, comme si le vent, l’eau, les particules nucléaires ne se déplaçaient pas. Comme à Hiroshima, la région de Fukushima devient un immense laboratoire pour le reste du monde… Et les habitants de la région sont parfois vus comme des pestiférés.
Le réalisateur en tremble : "Je suis en colère. C’est mon sentiment dominant. Fukushima, c’est le monde de l’absurdité. Il faut avoir beaucoup de courage pour y faire face".