
« Les morts de Fukushima ne sont plus des morts : ce sont des déchets nucléaires », écrivait Michaël Ferrier dans son ouvrage Fukushima, récit d’un désastre, paru en 2012. Un livre hybride, alliant le vécu et l’analyse de l’enquêteur et de l’écrivain-philosophe qui porte sur le Japon le regard respectueux d’un étranger y vivant et travaillant depuis plus de vingt ans.
Ferrier était à Tokyo quand le sol se mit à trembler. « On dirait une bête qui rampe, un serpent de sons, la queue vivante d’un dragon. Je comprends pourquoi les Japonais représentent le tremblement de terre sous la forme d’un poisson-chat, mi-félin, mi-mollusque. » Il décide très vite de se rendre sur les côtes ravagées par le tsunami afin de documenter, de questionner et d’aider. « Dans un désastre, les courbes disparaissent, toute la rondeur du monde, sa douceur et son embonpoint, n’en reste plus que le tranchant. » Prenant le lecteur par la main, il retrace les petits gestes et les réflexes de ceux qui évitèrent le pire. Il faudrait à présent penser avec Fukushima, car ce que symbolise cette centrale blessée « maudite dans la terre, dans le ciel et dans la mer » nous concerne tous, nous dit l’auteur. En 2011, juste avant le printemps, près de 18 000 morts et disparus laissèrent un vide sur le sol japonais : qu’adviendra-t-il des survivants, condamnés à une « demi-vie » ? (...)
« Beaucoup de gens cherchaient un billet pour s’enfuir du pays, et je faisais la démarche inverse. Ce n’était pas un acte d’héroïsme : simplement la conviction que pour écrire ça, il ne fallait pas se planquer. » (...)
Comment prévoir les tremblements de terre ? » est une question de premier ordre au Japon. Les bêtes le sentent toujours avant nous. « Le tremblement de terre nous apprend non seulement à nous jeter sous la table mais aussi à observer les animaux », dites-vous d’ailleurs. Seuls les animaux d’élevage enfermés par les hommes restèrent coincés. Vous évoquez également ces pieuvres gigantesques pêchées les mois précédents… Tout cela pendant que les capteurs mécaniques périssaient parfois sous le choc. Qu’en est-il aujourd’hui de nos capacités de prévisions ? (...)
« Je le dis à ceux, nombreux, qui sous-estiment le danger nucléaire : c’est une guerre à laquelle ils nous condamnent. »
« Éléments, animaux, humains, tout est en guerre », écrivait déjà Voltaire dans son poème sur le séisme de Lisbonne. Oui, un grand séisme, a fortiori quand il est suivi d’un tsunami et d’une catastrophe nucléaire, c’est une situation de guerre : je rappelle que dans toute la région ont été déployés plus de 100 000 hommes, 90 hélicoptères, 541 avions et 50 navires… Dès le 13 mars, 100 000 réservistes des Forces japonaises d’autodéfense (l’équivalent de l’armée japonaise) ont d’ailleurs été rappelés en urgence. Les familles des troupes d’auto-défense japonaises qui mouraient pendant les « opérations » — terme militaire — pouvaient recevoir 90 millions de yens : ce sont les montants attribués aux soldats envoyés en Irak ou à ceux qui patrouillent au large de la Somalie dans les zones infestées de pirates. Et quand la contamination radioactive s’en mêle, alors là, c’est encore pire : c’est encore une guerre, mais plus sournoise et autrement délétère. (...)