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Fuir son pays en temps de paix
Luis Robayo
Article mis en ligne le 2 octobre 2018
dernière modification le 29 septembre 2018

La couverture de la crise des réfugiés vénézuéliens est un sujet très personnel pour moi. Originaire de Cucuta, une ville colombienne juste à la frontière, ma vie est faite d’aller-retour entre les deux pays. J’ai pris l’habitude de me rendre au Venezuela pour voir des amis, me promener ou aller au restaurant, ou encore profiter de sa côte sur les Caraïbes.

Ils tentent de rejoindre l’Equateur, le Pérou, le Chili. Des milliers se sont installés en Colombie, où il leur a été assez facile d’obtenir des autorisations de travail.

Certains pays ont répondu à cet exode en durcissant les conditions d’entrée sur leur territoire.

Avant, les citoyens de Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou et Venezuela pouvaient circuler librement, sans passeport. Quand l’Equateur a annoncé qu’il en exigerait un pour les Vénézuéliens, nous avons réagi rapidement, en nous doutant que cette mesure provoquerait un afflux de migrants avant son entrée en vigueur.(...)

En arrivant à Rumichaca, j’ai vu une longue queue de gens devant le bureau des visas. Certains étaient enveloppés dans des couvertures, d’autres dormaient sous des tentes. Il y a avait des adultes, des femmes, des vieux, des enfants. Ils espéraient tous entrer en Equateur.(...)

Le lendemain matin, la situation était encore plus chaotique, à cause de l’afflux de migrants. Des ONG ont installé des tentes et des matelas pour les femmes et les enfants. Au cours de la journée, des habitants sont venus en voiture pour offrir du pain et du café. Je serai souvent témoin de tels gestes de soutien pendant ma semaine de reportage.

A la fin de la journée, l’accès à l’Equateur étant interdit, environ 700 personnes ont décidé de prendre le chemin du Pérou. Le pays andin ayant annoncé qu’il imposerait un contrôle des passeports à sa frontière à partir du 24 août, le voyage est devenu une course contre la montre. La température nocturne avait déjà commencé à tomber, autour de 3 degrés Celsius. Beaucoup de migrants avaient le ventre vide. (...)

J’ai été très touché par les enfants. Peut-être parce que je suis moi-même père d’une petite fille de trois ans, Martina. Ceux-là n’avaient visiblement pas idée de l’importance de ce voyage. Comme tout ressemble à une aventure pour eux, ils jouaient et ils riaient comme ils le feraient n’importe-où.(...)

J’ai essayé de trouver le sommeil, mais sans y arriver. Je n’arrêtais pas de penser à ces gens.

Vers cinq heures du matin, le bruit s’est répandu que des bus allaient venir pour emmener les migrants jusqu’à la capitale équatorienne Quito puis Huaquillas, à la frontière avec le Pérou.

J’ai assisté à leur départ, le sourire aux lèvres, avant de rentrer en Colombie pour y attendre mes collègues de la vidéo et du texte.(...)

Le reportage a été une véritable épreuve physique. Les journées étaient longues et pénibles, à marcher des heures durant tout en prenant des photos. Je devais partir un peu devant le groupe, pour pouvoir le photographier quand il passait devant moi, avant de le rattraper et de recommencer.(...)

Emotionnellement ça n’était pas moins épuisant, parce qu’il ne fallait pas que je cède à la colère, pour rester concentré sur les photos que je devais prendre.(...)

Après quelques heures, nous sommes finalement arrivés à la frontière, où nous attendait une bonne nouvelle. L’Equateur allait fournir des bus pour transporter les migrants jusqu’au Pérou. Ils ont attendu des heures durant par un froid glacial, 4 degrés Celsius.(...)

J’ai adoré couvrir cette histoire, même si elle était triste : tous ces gens qui, malgré les risques et les difficultés, abandonnent tout dans leur pays pour chercher ailleurs un avenir meilleur. Beaucoup d’entre eux sont des employés dont le salaire ne suffit pas à nourrir leur famille.

Avant cela, j’avais couvert beaucoup de conflits et suivi les réfugiés qu’ils provoquent. J’arrivais dans une ville et je la trouvais vide. Mais le Venezuela n’est pas un pays en guerre. Son peuple l’abandonne par nécessité économique. Il y a une pénurie de médicaments, ils ne peuvent pas acheter de nourriture pour leur famille même quand ils ont un travail et gagnent un salaire. Il y a quelque chose de vraiment tragique à être le témoin d’un peuple obligé de fuir un pays en paix.