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Mediapart
Franquisme : des historiens démontent les thèses révisionnistes relayées par « Le Figaro »
Article mis en ligne le 17 août 2022

La publication dans un hors-série du « Figaro » d’un entretien-fleuve avec l’essayiste d’extrême droite Pío Moa, pour qui les gauches sont entièrement responsables du déclenchement de la guerre civile en Espagne en 1936, suscite l’indignation de nombreux historiens. Retour sur une entreprise de « falsification ».

Personne n’avait tiqué lors de la publication le 28 juillet d’un entretien-fleuve de huit pages, en ouverture du dernier hors-série du Figaro Histoire, passé presque inaperçu. Mais le débat s’est emballé sur les réseaux sociaux aux premiers jours d’août, après la mise en ligne d’une vidéo de promotion de l’entretien par celle qui l’a coréalisé depuis Madrid, Isabelle Schmitz.

La journaliste, rédactrice en chef adjointe du Figaro Hors-Série, promet « une version totalement nouvelle de la guerre civile espagnole, étayée par des faits et des citations de ses principaux acteurs ». Elle fait référence à ces années de guerre entre républicains et franquistes, de 1936 à 1939, prélude aux trente-cinq années de dictature de Franco. L’essayiste avec qui la journaliste s’est entretenue, et qui suscite chez elle tant d’enthousiasme, s’appelle Pío Moa.

Né en 1948, ce Galicien est l’auteur d’innombrables textes de vulgarisation ultra-controversés sur le passé violent de l’Espagne, dont un best-seller, Los mitos de la Guerra Civil (La Esfera de los Libros, 2003, quelque 300 000 exemplaires écoulés). Presque vingt ans plus tard, un éditeur français a jugé nécessaire de publier en début d’année la traduction française (sous le titre Les Mythes de la guerre d’Espagne) de ce texte pétri aux accents révisionnistes. (...)

Sa thèse centrale, déjà présente dans un premier texte publié en 1999, Los orígenes de la Guerra Civil española (« Les origines de la guerre civile espagnole »), aux éditions Encuentro, est spectaculaire : les forces de gauche sont les seules responsables du déclenchement de la guerre civile en 1936. « La droite fut non violente avant la guerre, alors que du côté de la gauche, la terreur avait commencé dès 1931 », assure-t-il au Figaro. Et de préciser : « La Phalange [fondée en 1933 par José Antonio Primo de Rivera — ndlr], extrêmement minoritaire au sein de la droite, présentée à l’étranger comme un organe fasciste violent, ne le fut que très ponctuellement. »

Pío Moa dédouane ainsi Franco et son régime de toute responsabilité dans le coup d’État originel de juillet 1936, comme dans les violences qui ont suivi. Il minimise par la suite l’ampleur de massacres perpétrés par le camp nationaliste, dont ceux de Badajoz, à la frontière avec le Portugal, à l’été 1936, ou encore de Guernica, cette localité basque bombardée en 1937 par des avions allemands dépêchés en soutien à Franco.

Joint·es par Mediapart, cinq historien·nes, français·es ou espagnol·es, spécialistes de la Seconde République (à partir de 1931), de la guerre civile (de 1936 à 1939) ou du franquisme jusqu’à la mort du Caudillo en 1975, se disent « atterré », « sidéré » ou « stupéfié » par le traitement éditorial de l’ouvrage. Pour eux, ce texte participe d’une « falsification », selon la formule de l’historienne Charlotte Vorms, ou encore d’une réécriture réactionnaire de l’histoire. (...)

Un vulgarisateur nostalgique du franquisme

Si le hors-série du Figaro présente Pío Moa comme une pointure de la discipline, les universitaires décrivent un personnage bien plus douteux, sans aucun lien avec le monde académique. « Ce n’est pas un historien professionnel, mais un essayiste ou propagandiste, très lié aux milieux intellectuels de l’extrême droite », avance Nicolas Sesma, maître de conférence franco-espagnol à l’université Grenoble-Alpes et spécialiste du franquisme. Sesma dénonce chez Moa, ancien militant maoïste au sein des Grapo dans les années 70, une méthode du « cherry picking », travers qui consiste à ne retenir que les faits qui confirment sa propre thèse. (...)