
Dans une tribune au « Monde », Sylvie Thénault, spécialiste de la colonisation française en Algérie, explique pourquoi le projet de création – pour l’instant inabouti – d’une commission d’historiens français et algériens travaillant à la « réconciliation » entre les deux pays est une « fausse bonne idée ». (...)
D’abord parce que nous, historiens et historiennes, n’avons pas attendu les Etats pour travailler. Non seulement nous avons, de très longue date, consulté les archives accessibles – elles abondent – mais nous avons interrogé les témoins, recueilli leurs documents, utilisé des images, des films et toutes les sources imaginables. Nous en avons tiré des articles et des livres en si grand nombre que l’Algérie coloniale, aujourd’hui, domine dans les bibliothèques quand les autres colonies de l’ex-empire français intéressent largement moins. Nous avons même documenté tous les sujets, y compris les plus sensibles. Il reste et restera toujours à faire, mais c’est incontestable : qui veut connaître cette histoire a de quoi s’informer. (...)
Fausse bonne idée, surtout, car la nationalité ne fait pas l’historien. Certes, chacun hérite d’une vision du passé dépendante de l’enseignement qu’il reçoit, de la famille dans laquelle il grandit, de la société dans laquelle il vit… Les formations universitaires divergent aussi d’une nation à une autre, donnant naissance à des façons de faire et de penser l’histoire différentes. Impossible pourtant de rattacher les travaux et leurs auteurs à une nationalité.
Internationalisation de la recherche
Il existe des binationaux qu’il est indécent de renvoyer publiquement à une nationalité plutôt qu’à une autre – sauf à adhérer à une conception réactionnaire des identités, tout à fait dans l’air du temps, ignorant la souplesse et la complexité des appartenances. Le projet supposerait – comment l’oser ? – de demander à un historien de double nationalité de dire s’il est français ou algérien quand il écrit l’histoire. Il existe en outre des trajectoires professionnelles défiant les frontières. Ainsi, par exemple, des Algériens viennent faire leur thèse ou des séjours de recherche en France car – c’est l’essentiel – l’écriture de l’histoire est internationalisée. Les débats historiques ne se plient pas aux appartenances nationales. Ils les transcendent. (...)
Excellente tribune de l'historienne Sylvie Thénault sur l'annonce d'une "commission d'historiens" français et algériens par Macron et Tebboune. pic.twitter.com/bTM1APdrYQ
— Fabrice Riceputi (@campvolant)