
Pauvreté des formations, appauvrissement du journalisme
J’ai récemment vu deux amis qui ont fait le Centre de formation des journalistes de Paris (CFJ) avec moi il y a 35 ans, et je leur ai demandé quels souvenirs ils gardaient de l’école ; les deux m’ont fait la même réponse, assez stupéfiante : « nous n’avons rien appris ». Puis en creusant, nous nous sommes souvenus de nos cours de culture générale, de droit, d’histoire, d’histoire économique. Et bien tous ces cours que nous trouvions sensationnels et dont on se souvient trente-cinq ans après, on n’arrêtait pas de nous dire à l’époque qu’ils ne servaient à rien, qu’on les faisait uniquement pour avoir nos équivalences universitaires. Et les choses sont sans doute encore pires aujourd’hui…
En revanche, il y a trente-cinq ans, on commençait déjà à nous inculquer la pratique de ce qui à mon avis a pollué à la fois les médias et donc la formation des journalistes : le microtrottoir.
Tu dois être capable d’interviewer cinq personnes sur le trottoir pour leur demander quel sandwich ils ont mangé à midi ou ce qu’ils pensent de la réforme des retraites, et on considérera que tu as fait ton travail de journaliste si les cinq personnes t’ont répondu en 15 secondes ou que leur propos tient dans les 300 signes nécessaires et suffisants pour dire quel sandwich ils ont mangé à midi ou ce qu’ils pensent de la réforme des retraites. Cette pratique du micro-trottoir est LA pratique fondamentale, puisque c’est une pratique partagée entre les médias de presse écrite – les médias nationaux, la presse quotidienne régionale (PQR) et locale - et les médias audiovisuels – la radio comme la télévision. Si tu sais faire un micro-trottoir, tu es journaliste.(...)
Il est aussi important de savoir que tout le système repose sur le paritarisme : il y a en France 13 écoles de journalisme reconnues par la profession et agréées de manière conjointe par les patrons, les syndicats et les représentants de ces écoles… Évidemment, quand TF1, par exemple, donne sa taxe d’apprentissage au CFJ, ils vont leur dire : « Je te donne ma taxe d’apprentissage mais tes gars devront savoir faire des microstrottoirs, sinon cela ne va pas ; si tu leur apprends à faire un reportage documentaire en Ouzbékistan, cela ne m’intéresse pas » – surtout en Ouzbékistan où Bouygues a beaucoup d’intérêts…(...)
Dans le paysage actuel, l’affaiblissement progressif des grands médias dominants est évidemment une bonne nouvelle ! On ne voit pas assez que le paysage français des médias est en train de se bouleverser totalement, que le modèle dominant de l’information qui était, dans les régions, le quotidien régional dominé par les intérêts divers et variés au premier rang desquels il faut mettre selon les régions le Crédit Agricole ou le Crédit mutuel, ou telle grande entreprise, est en train de disparaître. Le modèle de la presse quotidienne nationale, qui était l’autre modèle dominant, est en train de disparaître également (...)
Parallèlement, il y a énormément de médias qui s’inventent, sur le Web évidemment, mais aussi en presse écrite : on a inventé des magazines, des revues, des bulletins, des petits médias, des médias de ville, des magazines locaux, des magazines régionaux, partout en France… Aujourd’hui vous avez des « pure players », des sites Internet qui se lancent dans pas mal de villes françaises, et qui ont décidé de dire adieu à la publicité.(...)
Pour ce qui est du journalisme, on essaie de revenir à ce qui est fondamental. C’est d’abord écrire au sens large, et avoir un langage. Deuxièmement c’est trouver les sujets. Les sujets, c’est l’angle. Là encore, le conformisme des médias est tel que le travail sur l’angle est quelque chose qui est délaissé. (...)
On travaille en ce moment avec quelques collègues à l’école et quelques journalistes de différents horizons, sur un nouveau projet d’école totalement gratuite, en ligne, avec du e-learning, avec des enquêtes au long cours, avec la volonté de leur faire vraiment d’abord apprendre de la pratique, de la méthode et donner un sens au travail. Cette formation-là est dans la droite ligne du programme Reporter citoyen.