
Nous naviguons au milieu de cette mer semée de fiascos. En ces temps apocalyptiques, nos mots deviennent pesants, en comparaison avec ce que nous avions pu parfois si gentiment formuler par le passé. Le temps même ne compte plus, et nous avec. Oui le temps, car après tout, Balzac avait raison : “Le temps est le seul capital des gens qui n’ont que leur intelligence pour fortune.” D’ailleurs nos attitudes, déjà reformulées et reformatées en témoignent.
“Tout est possible”, peut-on lire en ce décembre 2017 sur le mur d’un ancien local des Médecins Sans Frontières à Athènes, fermé depuis un moment. “Tout est possible”... et d’abord le fiasco. Aux apories et autres dyslexies existentielles de la dernière Grèce contemporaine, s’y ajoutent les dystopies réellement existantes d’une certaine géopolitique (économie comprise) de notre monde supposé moderne, nous voilà... rassurés.
Dans son remarquable essai, “La fin du progrès ?” , l’historien et écrivain Canadien Ronald Wright, fait très justement rappeler certaines vérités visiblement très contemporaines... pour ne pas dire intemporelles : “Utilisant leur arithmétique avancée pour établir un calendrier qu’ils ont appelé ‘compte long’, les Mayas ont étudié les mystères du temps, transcrit les événements astronomiques et formulé des calculs mythologiques loin dans le passé et dans l’avenir - parfois sur des millions d’années. Les calendriers sont une forme de pouvoir ; Jules César, qui a donné son nom au mois de juillet, le savait bien.” (...)
Dans les tristes affaires grecques, c’est alors le contrôle (même relatif) du calendrier prévisionnel des affaires privées comme publiques qu’il devient ainsi impossible, car en réalité volé. Entre la paupérisation touchant de près ou de loin les deux tiers de la population, le survivalisme étendu, le non versement des salaires à près d’un million de salariés du secteur privé, les lois mémorandaires qui tombent du ciel pollué de l’occupation Troïkanne, les lois et réglementations fiscales qui changent dix fois par an ainsi que celle concernant la Sécurité prétendument sociale et les retraites, déjà lorsqu’on n’est pas malade dans ce pays, la visibilité s’arrête au bout du nez ; quelques jours, quelques semaines, la fin du mois.
S’y ajoutent, les mensonges à répétition de la bande à Tsipras et des autres para-politiciens que la colonie jardine encore et hélas. Le dernier mensonge officiel, c’est la prétendue “sortie de la tutelisation mémorandaire en 2018”, lorsqu’on sait par exemple que le mémorandum Tsipras offre potentiellement le contrôle de l’ensemble des biens publics grecs aux prétendus “créanciers” pour 99 ans et que le dépeçage de l’économie grecque et des biens aussi privés, au profit bien entendu d’un nombre alors croissant de rapaces internationaux, ainsi que d’une clique bien locale, largement liée au système mafieux et népotiste des partis supposés politiques.
Toutes les dimensions de la temporalité de la crise grecque ont été ainsi balayées : non seulement les effets immédiats sur chacun, mais aussi les conséquences à long terme, sur les structures du pays, ses institutions, etc. Sous nos yeux, on voit le pays se transformer en un nouveau “cabinet des curiosités” de la vie et de la mort sous un régime en somme novateur, la métadémocratie achronique. (...)
On y observe mieux que nul part ailleurs la mutation de nos régimes oligarchiques-libéraux du monde occidental, autrement-dit nos démocraties “complaisantes”, en des régimes oligarchiques-dictatoriaux et pour le cas grec (et chypriote), l’annulation violente de toute forme (même déjà incomplète) de souveraineté populaire, nationale et étatique. L’évolution aura pris moins d’une décennie, sinon bien moins de temps. Il fallait y penser. (...)
Question de calendrier toujours, sauf pour les initiés peut-être, personne n’a vraiment compris les raisons ayant motivé cette la visite officielle du président de la Turquie en Grèce la semaine dernière, une visite annoncée la dernière minute et présentée par la presse comme déjà mal préparée par le “gouvernement grec”.
Cela faisait certes soixante-cinq ans qu’un chef d’État turc ne s’est pas rendu en Grèce. (...) Si l’on prend en compte la politique de plus en plus répressive d’Erdogan depuis le coup d’État manqué de juillet 2016, on peut s’étonner de l’invitation par le Premier ministre grec, qui se veut défenseur des droits de l’homme.”
“Nul doute que Tsipras, malgré sa popularité en baisse, surestime sa propre importance sur la scène internationale. Entre le fait qu’il choisisse de se ridiculiser en parlant un mauvais anglais lors de ses visites à l’étranger (les interprètes professionnels abondent pourtant) et son effort pathétique d’essayer de passer pour un grand homme d’État européen - il a ‘conseillé’ à Martin Schulz de former un gouvernement avec Angela Merkel -, Tsipras surjoue son propre rôle dans une mesure qui frise le ridicule. Il est difficile de pénétrer l’esprit d’un homme d’État à ce point dominé par son orgueil, mais on peut supposer que Tsipras pense qu’en invitant Erdogan il agit comme un médiateur entre la Turquie et le reste du monde - ce qui est, là encore, une illusion. (...)
Et pour revenir aux affaires gréco-turques, et... quant “à régler entre les deux pays (Grèce - Turquie) : le sort crucial de l’île de Chypre”, la traduction exacte de cette façon de reformuler les réalités, c’est tout simplement que le but des... manœuvres, n’est ni plus, ni moins le retour de Chypre dans sa situation de colonie britannique (en réalité occidentale et des puissances maritimes), par une forme de Putsch en cours de exécution, auquel Alexis Tsipras et Nikos Anastasiádis (président de la République de Chypre) sont les marionnettes alors complices (voir l’article précédent sur ‘Greek Crisis’ à ce sujet).
Dans l’autre vraie vie... géopolitique, les vendeurs ambulants de petits pains quotidiens préféreront le dialogue avec les animaux adespotes des lieux, plutôt que le prétendu dialogue gréco-turc. (...)
Dans Athènes, on vit le plus souvent au jour le jour, et alors même ces coupures calendaires traditionnellement festives, elles deviennent aberrantes aux yeux du plus grand nombre, disons pour 75% de la population. Les municipalités décorent ainsi les rues devant les immeubles inachevées.
Nous aspirons à un peu de repos, nous espérons que le blog sera toujours lu et soutenu par son public ; les fêtes passeront, nous ferons feu de tout bois, enfin pas grand-chose, laissant les fiascos et les paroles creuses aux politiques et aux journalistes.