
Physicien nucléaire, professeur à Polytechnique pendant 35 ans, Jean-Louis Basdevant a formé toute une génération d’ingénieurs du nucléaire. Dans cette interview, il affirme qu’"arrêter Fessenheim relève d’un devoir moral".
(...) Jean-Louis Basdevant - La fermeture de Fessenheim est l’exemple de ce que doit être une décision politique sage. Il s’agit de l’installation nucléaire la plus ancienne du parc français (le général de Gaulle avait voulu y implanter un réacteur graphite-gaz, le président Pompidou avait décidé d’inaugurer là la filière à eau pressurisée, plus moderne et performante).
De ce fait, elle détient le record de minceur de radier : un mètre, comparé à trois à Fukushima et six dans les EPR et deux dans les centrales françaises plus récentes. Son ancienneté fait craindre une fragilité et tous ces éléments concordent à y favoriser le risque d’un accident avec fusion du cœur.
À l’issue de sa troisième visite décennale, le 4 juillet 2011, l’ASN a donné un avis technique favorable à la prolongation du réacteur 1 pour dix ans, avec les conditions expresses de 1) renforcer le radier du réacteur avant le 30 juin 2013, afin d’augmenter sa résistance au corium en cas d’accident grave avec percement de la cuve, et 2) installer avant le 31 décembre 2012 des dispositions techniques de secours permettant d’évacuer durablement la puissance résiduelle en cas de perte de la source froide. À ce jour, aucune proposition acceptable n’a été faite par EDF. (...)
Un accident nucléaire à Fessenheim aurait des conséquences plus que dramatiques. Elle est située à l’aplomb de la plus grande nappe phréatique de France, d’une capacité de 35 milliards de mètres cubes sur sa partie alsacienne, qui se prolonge en Allemagne. Et, pour corser le tout, elle est également à l’aplomb de la vallée du Rhin qui, entre Bâle et Rotterdam, est la région la plus peuplée, active, industrielle de l’Europe.
Cela signifie qu’en cas d’accident avec fusion partielle du cœur, une fois la dalle percée, le Rhin serait contaminé, jusqu’à Rotterdam. Un accident nucléaire grave y serait une catastrophe dramatique pour toute l’Europe, un coup de poignard qui anéantirait la vie dans cette région pendant plus de 300 ans.
Arrêter Fessenheim est, pour moi, une application du principe de précaution, tant évoqué, qui relève d’un devoir moral vis-à-vis des habitants de l’Europe.
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Le principal problème des centrales nucléaires françaises est que parce qu’elles sont essentiellement du même type que les centrales japonaises et que les centrales américaines, y compris celle de Three Mile Island, elles présentent le même risque de fusion du cœur et de ses conséquences contre lesquelles on est sans défense à l’heure actuelle.
La fusion du cœur et ses conséquences catastrophiques est, j’insiste, un problème qui se pose pour pratiquement toutes les centrales électronucléaires au monde.
Ce type d’accident menace donc la totalité actuelle du parc français, notamment les réacteurs de Fessenheim. (...)
Mais j’ai le regret de ne pas voir, à l’heure actuelle, le moindre signe de mise en conformité des réacteurs par EDF, ni de mise en place "à partir de 2012, d’une "force d’action rapide nucléaire" nationale […] qui devrait être totalement opérationnelle fin 2014". J’évoquerai plus loin le cas du "renforcement de la dalle de béton" sous les radiers. (...)