
La décision du Conseil d’État, jeudi 25 octobre, d’annuler le décret de fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim révèle, selon l’autrice de cette tribune, l’hypocrisie d’un système énergétique sur lequel le pouvoir politique n’a pas de prise.
L’annulation du décret de fermeture de Fessenheim par le Conseil d’État est apparue comme une forme de scandale : comment l’absence de délibération correcte (sans doute tout à fait volontaire) de EDF (dont l’État possède 84 % des parts) pour demander la fermeture de la centrale peut-elle primer sur une volonté politique très clairement affichée ? Pourtant, le scandale n’est pas dans la décision du Conseil d’État, même si ce dernier a toujours validé (sauf pour Creys-Malville) toutes les décisions, même les plus illégales, dès lors qu’elles défendaient le nucléaire. Il est dans l’organisation même du système. (...)
En fait, Fessenheim est le symbole de la parfaite hypocrisie du système, qui semble s’inscrire dans l’État de droit mais qui n’est qu’une stratégie permanente de contournement des règles.
Contournement tout d’abord des normes de sécurité qui conduit à une prise de risque délibérée. Cette centrale, construite dans une zone hautement sismique, en contrebas de plus de 8 m du canal du Rhin, avec une simple enceinte de confinement, sans tour de refroidissement, est en elle-même le modèle de ce que l’expérience nous a appris à éviter si nous ne souhaitons pas Fukushima chez nous. D’où l’exaspération de nos voisins et la concentration de la contestation européenne sur cette centrale. Mais il y a plus grave encore.
Incapable de respecter les normes européennes en ce qui concerne la concentration des produits chimiques dans l’eau, EDF a obtenu néanmoins l’autorisation de fonctionner par dérogation, l’absence de motivation de ces dérogations ayant fait l’objet d’un arrêt du Conseil d’État sans aucun effet puisque le même arrêté a été repris sans davantage de motivation. La seule motivation est qu’il n’est pas possible de faire autrement… mais est-ce une motivation ?
Incapable de respecter les règles de sûreté mises en œuvre en ce qui concerne la tenue des générateurs de vapeur, puisque certains générateurs de vapeur de Fessenheim font partie des pièces falsifiées construites au Creusot. EDF a obtenu de l’Autorité de sûreté nucléaire le droit de fonctionner sans que les règles de qualité ne soient remplies et sans que les critères initiaux ne soient satisfaits…
Incapable enfin de respecter les propres règles que l’Autorité de sûreté nucléaire vient de fixer pour la fermeture. (...)
Il serait peut-être temps d’appliquer à l’industrie nucléaire des règles de rationalité
Le deuxième système de contournement mis en place est purement financier. Pour « accepter » la fermeture de Fessenheim, EDF a obtenu de l’État le versement d’une indemnité de 400 millions d’euros plus le manque à gagner résultant d’un fonctionnement possible de 50 ans. On croit rêver ! Il s’agit tout simplement d’une supercherie destinée à contourner les règles d’aides d’État qui interdisent à la France de continuer à subventionner comme elle le fait le système nucléaire. (...)
la France continue à investir massivement dans cette industrie du passé et, pour éviter les fourches caudines de la Commission européenne, la pseudo indemnisation de Fessenheim est une trouvaille.
Enfin, le comble de l’hypocrisie réside dans l’organisation juridique, qui prive le pouvoir politique de réaliser ses choix énergétiques. En effet, le Code de l’environnement dans sa rédaction actuelle exclut toute intervention du pouvoir politique pour fermer une centrale nucléaire et donc appliquer les choix énergétiques qu’il prétend faire. Une centrale nucléaire ne peut fermer que si l’exploitant le demande ou si l’Autorité de sûreté nucléaire l’exige pour des raisons de sûreté. Dans ce cas, le pouvoir politique peut également agir sur avis de l’ASN. EDF ayant décidé de porter la durée de fonctionnement de ses centrales nucléaires à 50 ans - c’est ce qui figure dans sa comptabilité comme si l’ASN n’existait pas –, elle n’a aucune raison de demander leur fermeture. Sa seule obligation consiste à respecter le plafond –et non le plancher comme elle le soutient – de production d’électricité nucléaire prévu par la loi. D’où la contrainte de demander la fermeture de Fessenheim si Flamanville ouvrait un jour….
Il est donc indispensable de sortir de l’hypocrisie et de modifier la loi pour permettre au gouvernement de décider, pour des raisons de politique énergétique, de la fermeture de centrales nucléaires. Ne pas procéder à ce changement équivaut à continuer à prendre les Français pour des imbéciles en prétendant faire des choix que l’on est dans l’impossibilité de réaliser. (...)