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Fermeture de Fessenheim : après la centrale, le saut dans le vide
Article mis en ligne le 23 février 2020
dernière modification le 22 février 2020

À Fessenheim, la « doyenne » des centrales nucléaires françaises arrêtera le premier de ses deux réacteurs dans la nuit de vendredi à samedi, le second à la fin du mois de juin. Un saut dans le vide pour toute une région et les centaines de personnes qui vivaient de cette activité industrielle.

Ce mardi 18 février 2020, devant la centrale, les caméras de télévision attendent leur tour. Debout à l’entrée du site, chapeau, veste et pantalon noirs, Alain Besserer, délégué Force ouvrière, se prête au bal des entretiens express. Derrière lui, deux banderoles blanches sont déployées sur les grilles. « La centrale de Fessenheim est sûre, qu’elle dure ! » En rouge délavé, les lettres donnent le ton : « Produire du courant propre est notre métier, la sûreté notre devoir ! » (...)

Assis à l’arrière de la voiture, au calme, le représentant du personnel refait le film de cette guerre des nerfs. Lui a démarré sa carrière à Fessenheim en 1992 et a rejoint le syndicat en 2016, quand la fermeture s’est précisée. « C’est vraiment ce défi d’accompagner les collègues qui m’a motivé. » (...)

après la catastrophe de Fukushima, le 11 mars 2011, tout s’était accéléré. Les voisins suisses et allemands, ainsi que la ville de Strasbourg avaient demandé l’arrêt des réacteurs. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dénonçait déjà, en 2007, un « manque de rigueur » de la part d’EDF dans l’exploitation de cette centrale. Les manifestations pour la fermeture se multipliaient : au moins de juin, plusieurs milliers de personnes formèrent une chaîne humaine de près de 5 km autour du site.
« Le licenciement, pour beaucoup ! »

De leur côté déjà, les salariés du site se sont fermement opposés à l’arrêt des réacteurs et se sont battus pour préserver les 2.000 emplois directs et indirects. « Depuis 2012, on entretenait tous l’espoir que cela ne se fasse pas. On se disait que le mandat de Hollande allait passer, que les choses changeraient. Et puis, en avril 2017, Macron a pris la parole (en pleine campagne présidentielle) pour dire qu’il ne reviendrait pas en arrière. » En novembre de la même année, cette décision était confirmée. « On ne savait juste pas quand, mais on savait que la fin était programmée. » (...)

Il reste 645 agents EDF et un peu moins de 300 agents prestataires sur le site de la centrale nucléaire de Fessenheim. 70 ont déjà été déployés en 2019 en dehors de la région et plus de 170 devraient quitter le site cette année. « Les salariés EDF sont assurés de la pérennité de leur emploi, poursuit Alain, mais nombreux sont ceux qui devront changer de métier s’ils veulent rester dans la région. » L’entreprise s’engage à tout mettre en œuvre pour retrouver un poste à chacun, mais avec des typologies d’emploi qui sont complètement différentes des leurs. « On a des chimistes ici, mais il n’y a aucun besoin de chimistes en dehors de Fessenheim chez EDF en Alsace. On a des collègues qui font de la radioprotection, ils vont devoir changer de métier ! »

Pour les employés des entreprises prestataires qui souhaitent rester ? « Le licenciement, pour beaucoup ! »

Autour du grand bâtiment blanc visible depuis la sortie du village de Fessenheim, la plaine alsacienne traversée de pylônes est essentiellement agricole, conséquence d’une économie essentiellement tournée vers la centrale depuis plus de 50 ans. (...)

le seul candidat en campagne pour les municipales regrette le manque d’anticipation de cette fermeture, le manque de perspective industrielle aussi : « Quels sont les sites où il y aurait de l’emploi autour du démantèlement ? Ce pourrait être le cas des technocentres… » La France se lance dans une phase de démantèlement inédite. Celui de Fessenheim va au moins durer 20 ans. La fermeture de 12 autres réacteurs est prévue entre 2027 et 2035. Le maire pense que l’Alsace pourrait devenir une région pilote dans ce domaine. (...)

Un moyen d’envisager la création d’un nouveau bassin d’emploi, car tout repose sur le travail dans cette histoire de fermeture selon lui. De travail et de revenus pour la commune : « Il y a 200 salariés d’EDF qui habitent ici, il y en a au moins plus d’une centaine qui vont devoir partir, soit entre 300 et 500 avec les familles. C’est un vrai enjeu pour les écoles, les commerces, pour les services sur lesquels on travaille. » Sans parler de la perte fiscale que représente la fermeture de la centrale, un manque à gagner de 6,3 millions, dont 3,4 qui bénéficiaient directement au territoire.
« Nous, on a toujours eu cette préoccupation de l’emploi de l’après-centrale ! »

« Je ne peux pas comprendre que ni les cadres ni les élus n’aient anticipé la fermeture. Ils espéraient que cette centrale serait éternelle jusqu’à la nuit des temps. Leur unique but à tous était d’empêcher que le plan de Hollande se mette en place. » André Hatz, président de Stop Fessenheim est l’une des figures de proue du mouvement antinucléaire régional. En face du site, sur la digue qui donne sur les deux réacteurs, il prend le temps de détailler tous les risques recensés depuis des années (...)

Hors de question pour autant de se désintéresser du sort des travailleurs de la centrale. « Nous, on a toujours eu cette préoccupation de l’emploi de l’après-centrale ! » André, méticuleux, sort de sa pochette plusieurs documents et schémas des scenarii auxquels les associations antinucléaires locales réfléchissent depuis 2012. « Nous nous étions rendu compte qu’il n’y avait pas de plan précis pour le démantèlement, alors on a fait un planning pour prendre en compte les aspects techniques, mais aussi humains. Nous tentions de nous mettre à la place des gens en face. » André et ses camarades envisagent par exemple la création d’une usine de fabrication de mâts et de pales d’éoliennes, au bord du canal du Rhin, à côté de l’ancienne centrale. Ces matériaux auraient pu remonter jusqu’à Rotterdam et ses îles offshores via le transport fluvial. « Il y a beaucoup de soudeurs à la centrale, c’était une façon d’imaginer leur reconversion ! » Des industriels allemands voisins proposaient aussi de créer une zone d’activité binationale, mais le maire comme le gouvernement n’ont jamais donné suite à ces différentes pistes. (...)