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Fereshta, Afghane coincée au Pakistan : "Je ne me sens pas en sécurité ici"
#Afghanistan #taliban #Pakistan #femmes #exil
Article mis en ligne le 8 juin 2023

À 32 ans, Fereshta est bloquée sur la route de l’exil, seule avec ses trois enfants. À Kaboul, elle était menacée par les Taliban car militante pour les droits des femmes. Elle a réussi à quitter l’Afghanistan deux mois après l’arrivée au pouvoir des fondamentalistes. Aujourd’hui, elle vit au Pakistan et espère obtenir la protection de la France. Témoignage.

Son courage et sa détermination semblent sans limite. Mais Fereshta* ne cache pas non plus sa fatigue et ses craintes. Au téléphone avec InfoMigrants, cette Afghane d’une trentaine d’années, dont le mari a été assassiné par les Taliban en 2018, raconte les difficultés de l’exil au Pakistan après avoir fui son pays, tenu par les fondamentalistes religieux. (...)

Ils ne m’autorisaient plus à travailler. Ma famille me poussait à me marier pour assurer ma sécurité, je n’ai pas de frère, je n’avais pas d’homme pour m’accompagner dehors.

Le mari de Fereshta était policier, en poste dans différentes provinces du pays. En 2018, il a été attaqué par les Taliban sur la route reliant Ghazni à Kaboul et a été assassiné. Fereshta était au lycée quand elle s’est mariée. C’était en 2008. En parallèle de ses études de journalisme à l’université de Kaboul, elle a travaillé pour le ministère afghan de l’Éducation puis pour une radio dans la capitale jusqu’à l’arrivée des Taliban dans la ville.

À la mort de mon mari, sa famille voulait que j’épouse son frère aîné, selon la coutume. Dans la société afghane traditionnelle, une femme ne doit pas rester seule. J’ai refusé et j’ai eu beaucoup de problèmes avec ma belle-famille, je ne me sentais pas très bien.

Fin août, les Taliban sont venus à la radio et ils ont demandé à mes chefs d’arrêter de faire travailler des femmes. On m’a donné mon salaire et je suis partie.
"Je voulais qu’ils m’autorisent à travailler, j’avais besoin de gagner ma vie"

Quand les femmes sont sorties dans la rue pour protester début septembre 2021, j’ai rejoint les manifestations. J’ai donné des interviews aux médias, j’ai publié des textes contre les Taliban sur les réseaux sociaux. Je voulais qu’ils m’autorisent à travailler, j’avais besoin de gagner ma vie. Cela m’a attiré des ennuis avec ma famille. J’ai été arrêtée par les Taliban. J’ai été libérée parce que je leur ai dit que j’étais sortie pour retirer de l’argent à la banque. (...)

Une fois sortie, les ennuis ont continué. D’autres Taliban ont montré ma photo au mollah de la mosquée, ils voulaient me retrouver, car je n’étais pas mariée. Ils disaient aussi que mon mari travaillait pour les Américains. Heureusement, je n’étais pas chez moi. (...)

Passer la frontière à tout prix

Paniquée, je me suis précipitée à l’ambassade pakistanaise pour avoir un visa et partir. Je n’avais pas d’argent alors j’ai vendu quelques affaires, et j’ai versé des pots-de-vin pour l’avoir plus rapidement. Fin octobre 2021, je me suis précipitée vers le poste-frontière de Torkham, qui venait de rouvrir. (...)

J’étais avec mes trois enfants. J’ai eu plein de problèmes à la frontière. Les Taliban ne voulaient pas me laisser passer car je n’étais pas accompagnée d’un homme. Ils ont menacé de nous battre, mon fils aîné et moi. Nous avons dû patienter plusieurs heures. J’ai été sauvée par un vieil homme pachtoune qui a dit que je voyageais avec lui.
"Je veux que le monde connaisse la situation des femmes afghanes"

La militante afghane réussit à passer et s’installe dans une grande ville pakistanaise avec ses trois enfants.

Je suis sans emploi. Parfois, je présente les informations pour une télévision qui travaille dans ma langue. Sinon, je fais partie d’un groupe de militantes féministes afghanes, je rédige des rapports, je fais des propositions et je participe à des manifestations. (...)

Au Pakistan, j’ai rejoint toutes les manifestations : pour défendre les droits des femmes, le droit des filles à aller à l’école, pour mettre fin au génocide des Hazâras [une ethnie chiite persécutée par les Taliban et par l’État islamique, ndlr]. Je veux que le monde connaisse la situation des femmes afghanes.
"J’ai peur pour ma sécurité, je n’ai pas d’argent"

Je ne me sens pas en sécurité car les Taliban sont aussi très présents au Pakistan. Je me cache (...)

Mon deuxième fils, né prématurément, a souvent besoin d’aller voir le médecin, ça me coûte très cher. Tout est cher au Pakistan.

Nos visas ont expiré depuis septembre et j’ai demandé à les faire prolonger mais pour aller plus vite, il fallait payer 410 dollars [environ 350 euros, ndlr] par personne, soit 1 640 dollars [environ 1 500 euros, ndlr] pour toute la famille. Je n’ai pas pu payer. Nous n’avons plus de papiers en règle depuis septembre.

Les enfants vont à l’école mais ils n’auront aucun diplôme car nous ne sommes pas pakistanais et nous ne sommes pas réfugiés reconnus par le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). J’ai passé un entretien l’année dernière mais ils ne m’ont jamais recontactée depuis.
L’espoir d’un visa pour la France

Sur les recommandations d’amis français et avec le soutien de Reporters sans frontières (RSF), Fereshta a sollicité un visa au titre de l’asile auprès de l’ambassade de France au Pakistan. Elle a obtenu un entretien le mois dernier et attend désormais une réponse. (...)

Dans une tribune parue dans le journal Le Monde le 21 avril 2023 signée par plus de 350 personnalités, le collectif "Accueillir les Afghanes" appelle l’État français à "la mise en place d’un programme humanitaire d’urgence pour les Afghanes qui ont fui au Pakistan ou en Iran".