
Le Hellfest est un événement. Et après un événement jugé réussi, qui aura rassemblé près de 400.000 personnes, on sabre le champagne. Dimanche 26 juin, neuf jours après le lancement de cette messe des musiques extrêmes, son directeur emblématique Ben Barbaud donnait une conférence de presse, exercice classique de fin de festival.
Accueilli sous les applaudissements des médias conquis, il est pourtant questionné par un journaliste sur la présence d’artistes accusés de violences sexistes et sexuelles dans plusieurs enquêtes journalistiques, notamment celle de Mediapart parue en 2021. « Est-ce que le Hellfest compte faire quelque chose de concret dans le futur tel qu’arrêter d’inviter, rémunérer et promouvoir des artistes problématiques accusés –voire pour certains condamnés– d’agressions sexuelles et autres ? »
Le journaliste évoque également la venue de plusieurs formations accusées d’être liées à des mouvances néonazies ou ouvertement racistes. La réponse du directeur est sans détour. « Je sais qu’il peut y avoir parfois dans nos choix de programmation un certain nombre d’artistes ou de personnalités qui ne sont pas approuvés par tout le monde. Et je le comprends bien évidemment. Encore une fois, et nous gardons notre ligne depuis le début, elle est claire et limpide : nous n’avons pas à juger les gens qui n’ont pas pour l’instant eu de condamnation. À partir du moment où un artiste, une personnalité, a le droit de faire un concert, on continue de s’autoriser à le faire. » Et de rappeler que les groupes mentionnés n’ont pas été condamnés. « Nous tenons à garder notre position d’à-côté et à ne pas prendre position sur ce genre de choses. » Clair et limpide.
Sous le plan com’, le vide
Mais ne pas prendre position, n’est-ce pas déjà prendre position ? Certes, le Hellfest a largement communiqué sur la Hellwatch, cette brigade d’une soixantaine de bénévoles disséminée au milieu de la foule, chargée de faire de la prévention sur les violences sexistes et sexuelles sur le site.
Brut en a fait un reportage, Ouest-France un décryptage, même si les personnes envoyées dans les maraudes n’ont pas été formées à proprement dit. En fait, le Hellfest, à défaut de parvenir à collaborer avec des structures spécialisées dans ces questions et ces pratiques en milieu festif, a décidé de faire les choses à sa sauce et de communiquer largement dessus.
Depuis plusieurs mois, le festival était en effet en lien avec l’association Les Catherinettes, spécialisée dans ces sujets sensibles et présent sur plusieurs événements cette année (...)
Pourtant, l’association a préféré jeter l’éponge et se retirer du Hellfest. (...)
Le Hellfest n’a de cesse de mettre en avant ses actions écologiques. Les à-côtés sont pourtant bien moins verts. (...)
L’enquête de Mediapart est sortie quelques semaines avant que le Hellfest n’annonce sa programmation, confirmant alors la présence de groupes comme Guerilla Poubelle, dont il est question dans l’article. « On a essayé de dialoguer avec eux, Mais c’était très compliqué. Ils n’ont pas souhaité toucher à la programmation, leur réponse était claire : mise en avant de la présomption d’innocence. » En faisant cela, en feignant de ne pas prendre parti, le Hellfest prend en fait la défense des groupes impliqués.
300.000 litres de fioul
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« Ils n’ont pas besoin de nous, ils l’ont clairement dit, continue la responsable des Catherinettes. Il fallait que l’on fasse partie de la machine, de leur communication. On était vus comme un prestataire qui doit s’adapter au client. Pourtant, on ne combat pas les violences sexistes et sexuelles avec un stand ; il faut qu’un maximum de personnes soient formées pour agir sur le terrain. »
Autre point, et pas des moindres. Le Hellfest n’a de cesse de promouvoir ses actions écologiques en mettant l’accent sur son dispositif de tri des déchets ou en invitant une équipe de Sea Shepherd sur son site. Les à-côtés sont pourtant bien moins verts. (...)
Durant ces festivités, le Hellfest a programmé un groupe polonais, Mgła. Ce dernier est signé sur le label Northern Heritage Records, fondé et dirigé par un certain Mikko Aspa, musicien finlandais ouvertement néonazi et grand nom du mouvement NSBM (National Socialist Black Metal). (...)
Mgła est depuis longtemps montré du doigt pour des raisons similaires. L’un de ses membres, supposément renvoyé du groupe depuis cette affaire, a été pris en photo arborant le logo du groupe français Peste Noire, fondu dans les mouvances néofascistes et d’extrême droite nationaliste. Un autre membre a sorti en 2000 un album, certes resté confidentiel, intitulé Leichenhalle, y interprétant des titres nommés « Judenfrei » (« Sans juifs »), référence aux territoires supposément débarrassés des juifs sous le Troisième Reich. (...)
En 2016, le festival était déjà montré du doigt pour avoir choisi de maintenir dans sa programmation le groupe Down, dont le chanteur Phil Anselmo avait, quelques semaines plus tôt, fait un salut nazi et crié « White power » lors d’un concert.
Plusieurs événements en Europe avaient annulé sa venue, mais pas le Hellfest (...)
Le plus surprenant, c’est que le Hellfest n’a pas toujours été si coulant sur ces sujets auparavant. En 2011, les groupes Satanic Warmaster et Anal Cunt avaient été déprogrammés à la suite d’accusations et faits similaires. Alors, qu’est-ce qui a changé ? Le prix de la bouteille de champagne ? L’assurance d’avoir un public qui suit le festival coûte que coûte ? Contacté, le Hellfest n’a pas donné suite à nos sollicitations.