La démographie. Le fameux sujet “tabou” dont nous entendons pourtant parler quotidiennement. Nous serions pour certains trop sur Terre, et il serait urgent de trouver des solutions pour y remédier. Pour répondre à un sujet aussi compliqué que complexe, il faut du temps.
Après 3 ans de travail sur la démographie et les enjeux écologiques, Emmanuel Pont sort son premier livre Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? aux Editions Payot. Nous avions déjà échangé en 2020 sur le sujet lors d’une première interview, mais profitons de la sortie du livre pour discuter empreinte carbone, politique, philosophie et éthique.
On entend souvent le nom de Malthus pour évoquer le sujet démographique, ou plutôt la surpopulation. C’est vite oublier que les philosophes en parlaient déjà il y a plus de 2000 ans…
Effectivement, l’humanité s’est en fait toujours posé des questions sur la population et l’environnement. C’était néanmoins dans un sens plus réduit qu’aujourd’hui, concernant principalement les ressources comme l’alimentation ou le bois. Par exemple, Platon imagine une cité idéale de 5040 citoyens avec des mécanismes de contrôle pour garantir la stabilité (les femmes et esclaves ne comptent pas …).
Malthus s’inscrit dans cette histoire et prend notamment position par rapport aux débats de son époque, contre les penseurs progressistes et l’esprit de la Révolution. Sa grande innovation est une réflexion politique : si la population est limitée par l’alimentation disponible, alors les pauvres sont par définition toujours aux limites de la survie. Ce qu’il présente comme une “loi naturelle” est surtout le résultat d’une société inégalitaire, avant la transition démographique. (...)
Il est écrit dans le titre du livre « sauver la planète ». Est-ce vraiment l’avenir de la planète dont-il est question ?
Évidemment, la planète en tant qu’objet géologique ne craint rien. Mais cette question un peu naïve est l’occasion de se demander exactement ce dont il s’agit et ce qu’il faut souhaiter comme monde soutenable écologiquement. On a l’habitude de raisonner avec des objectifs clairs et chiffrés sur le climat, mais la réponse est beaucoup plus complexe quand on élargit à l’ensemble de la crise écologique. Quelle est la place de l’humanité parmi la “nature” ? Il existe des visions très différentes.
Il y a un chiffre choc dans ton livre qui devrait clore certains débats : les pays à forte natalité ne sont responsables que de 3.5% des émissions mondiales de CO2, alors qu’ils abritent 20% de la population mondiale.
Si les débats pouvaient être clos par des chiffres … Oui, on sait depuis longtemps que les émissions sont très déséquilibrées, et que cet écart ne se réduit pas vraiment. C’est d’autant plus frappant quand on compare par personne, où on peut atteindre des rapports de 1 à 100 … et d’autant plus injuste car ce sont aussi les pays les plus fragiles face au réchauffement. C’est toujours déséquilibré mais un peu moins quand on compte aussi le méthane ou quand on calcule les empreintes pour d’autres questions écologiques au-delà du climat. Cette différence reste principalement une différence de richesse (...)
Que penses-tu du Financial Times qui titre « Le réchauffement climatique devient moins un combat entre nations qu’entre riches et pauvres » ?
C’est très intéressant que le “journal de l’élite” reconnaisse l’importance du sujet des inégalités par rapport au réchauffement climatique, à la fois entre pays mais aussi à l’intérieur des pays. (...)
L’augmentation de la population est effectivement un facteur dans la dégradation de la biodiversité, mais c’est encore une fois “toutes choses égales par ailleurs”. Quand on plonge dans le monde de la recherche sur le sujet, on découvre la variété gigantesque de manières de vivre et de relations avec la nature, ainsi qu’une infinité de changements possibles (souvent locaux) pour réduire notre empreinte.
A l’échelle globale, rendre l’humanité végétarienne libérerait d’un coup les trois quarts des terres occupées par l’humanité. C’est extrêmement efficace par rapport au levier démographique. Je considère donc qu’il y a assez de possibilités pour atteindre une version raisonnable d’un monde soutenable, mais évidemment on peut placer cet objectif assez loin pour considérer que nous sommes de toute façon trop nombreux.
Même si le levier démographique n’est pas très efficace et pose de nombreux problèmes éthiques, ne faut-il pas “tout faire” ?
Ce pourrait l’être s’il était indispensable de réduire la population pour atteindre un monde soutenable. Ce n’est pas le cas, il existe de très nombreuses autres pistes, on doit donc bien évaluer les mesures démographiques sans oublier leurs limites.
Il faut aussi prendre en compte les enjeux politiques : pas seulement la faisabilité, qui semble faible, mais aussi les implications en termes de vision du monde, de cadrage du débat. (...)
L’éthique est partout dans ton livre. Faire un enfant au 21ème siècle est devenu une question éthique personnelle ? Il y a un chapitre très intéressant qui explique que le choix d’avoir un enfant n’est pas qu’un choix personnel.. C’est pour le moins surprenant !
On voit très bien ce dilemme dans la définition du droit à la procréation, droit fondamental mais qui n’est pas absolu non plus. On peut à la fois considérer cette liberté comme souhaitable, tout en reconnaissant qu’avoir un enfant c’est l’imposer à la société. Ainsi il est difficile de séparer entièrement la question de société de celle du choix individuel, et cela dépendra des ordres de grandeur. Si avoir un enfant était la pire chose pour l’environnement, cela se discuterait. Etant donné que ces chiffres sont grossièrement surestimés, je considère que la question écologique n’est pas une bonne raison d’empiéter sur la liberté de procréation. (...)
Faut-il avoir peur de mettre au monde un enfant dans notre monde incertain ?
C’est l’autre grande question sur le choix personnel : la crainte que ses enfants vivent un avenir horrible. Étant donnée l’incertitude sur la crise écologique, il est naturel d’osciller entre des positions extrêmes, entre catastrophisme et rassurisme. Comment trouver un “juste milieu” ? Il y a déjà et il y aura des catastrophes, même si la plupart ne sont pas écrites, et dépendront de nos choix d’atténuation et d’adaptation. Il existe aussi de nombreuses “solutions”, même si aucune n’est simple ou facile. Je n’ai pas de réponse absolue à cette question, qui dépendra des circonstances de chacun. Parmi les exemples intéressants, on peut citer Pablo Servigne qui a choisi d’avoir des enfants tout en étant convaincu du risque d’effondrement. Pour lui ç’aurait été abandonner tout espoir que d’y renoncer. (...)