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Fake news : la recherche étudie la désinformation comme un virus
Article mis en ligne le 31 mars 2022
dernière modification le 30 mars 2022

Une récente revue fait le point sur les résultats les plus récents de la recherche sur la désinformation utilisant les modèles épidémiologiques SIR pour comprendre les phénomènes de susceptibilité, de propagation, d’immunité et de guérison face à la désinformation.

Les modèles épidémiologiques SIR (pour Susceptibles, Infectés et Guéris) sont un classique de l’épidémiologie. Ils permettent d’anticiper la dynamique d’une épidémie, notamment grâce à ce qu’on appelle le taux de reproduction de l’agent pathogène étudié, c’est-à-dire le nombre de contaminations dont est responsable un individu en moyenne, généralement noté R. Si ce taux est supérieur à 1, la courbe des contaminations se dirige vers une croissance exponentielle. À l’inverse, s’il est inférieur à 1, la courbe des contaminations va s’éteindre progressivement. Ce taux est considéré comme la variable déterminante lors d’une épidémie. (...)

L’important n’est pas tellement le nombre de gens infectés en valeur absolue (voilà pourquoi fermer les frontières était une méthode peu efficace) mais leur capacité à transmettre le virus en question (voilà pourquoi les mesures barrières, dans leur ensemble — dont la plus utile contre un virus à transmission aéroportée — furent levées prématurément car elles forment un barrage efficace contre la circulation d’un virus). (...)

Depuis le début de la crise du Covid-19 et la caractérisation par l’Organisation mondiale de la Santé d’une « infodémie » de fausses nouvelles, les journaux médicaux s’intéressent de plus en plus aux phénomènes de désinformation. En effet, lors de cette pandémie, nous avons assisté à la circulation régulière de fausses informations sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels. Il semble alors cohérent que, face à cette défiance apparemment inédite envers les mesures sanitaires, des praticiens et praticiennes du monde de la santé s’intéressent à la question. Une nouvelle revue, la deuxième en l’espace de quelques mois, vient d’être publiée dans Nature Medicine. Cette dernière résume l’état de la recherche récente sur la désinformation, notamment celles qui appliquent les modèles SIR aux phénomènes de la désinformation. (...)

La désinformation : un virus qui compte déjà beaucoup de variants

Tous les contenus coupables de désinformation ne peuvent pas être rassemblés sous le même terme. En effet, il existe différents types de désinformation caractérisés par plusieurs paramètres : la véracité du contenu, la façon dont il a été produit, ce qu’il suggère implicitement, l’intentionnalité ou non de tromper ou encore les inférences tirées à partir de faits solides. Au-delà des informations construites de toute pièce, on peut allègrement faire de la désinformation avec des données factuelles. C’est pour cela que certains chercheurs considèrent le terme de fake news comme problématique étant donné qu’il n’aide pas à faire le tri entre ces différents types de désinformation et qu’il semble également être devenu une arme rhétorique pour discréditer sans effort ses opposants. (...)

l’adhésion à une information fonctionne principalement grâce à cette chaîne causale entre l’illusion de vérité et la fluidité de traitement. Il suffit qu’une information soit répétée régulièrement, peu importe sa véracité, pour que nous soyons en mesure d’y avoir accès et de l’utiliser plus facilement. C’est à partir de là que se met en place le cercle vicieux avec l’illusion de vérité. Ce phénomène touche tous les styles cognitifs, même les plus analytiques. D’autres facteurs individuels peuvent être mobilisés pour expliquer la susceptibilité à la désinformation comme l’âge, la littératie digitale ou encore l’idéologie politique même si certains paramètres donnent des résultats inconsistants dans certains cas (les personnes âgées semblent avoir été moins sensibles à la désinformation pendant la pandémie, par exemple).
Deux théories s’affrontent

Pour expliquer ces différences de sensibilité, deux hypothèses sont actuellement en vogue : celle de l’inattention et celle du raisonnement motivé. Elles se placent toutes deux au sein du cadre théorique des théories duelles du raisonnement. Au sein de ce paradigme, nous disposons de deux systèmes de raisonnement, l’un étant intuitif et l’autre réflexif. (...)

Comment la désinformation se propage-t-elle ?

Les chercheurs travaillant sur la désinformation ont emprunté les modèles SIR aux épidémiologistes des maladies infectieuses. Nous venons de voir ce qui peut nous rendre plus réceptifs à la désinformation de la même façon que le fait d’être immunodéprimé nous rend d’autant plus sensibles à une infection à un agent infectieux. Néanmoins, être plus susceptible n’est ni une condition nécessaire (nous pouvons toutes et tous être infectés par un pathogène ou adhérer à des fausses nouvelles) ni suffisante — pour être infecté par un pathogène ou adhérer à une fausse nouvelle, il faut y être exposé.

Dès lors, mesurer la propagation de la désinformation est un enjeu majeur pour y voir plus clair sur les dynamiques qui gouvernent sa transmission. Pour l’instant, les seules études se concentrant sur ce phénomène ont été conduites sur les réseaux sociaux, ce qui laisse bon nombre de plateformes d’informations de côté. Ce qu’on peut dire à l’heure actuelle concernant les médias sociaux, c’est que la désinformation est plus susceptible d’être partagée sur ces réseaux et que, par conséquent, elle se répand plus rapidement que les nouvelles vérifiées même si, rappelons-le, ces constats dépendent de ce que l’on considère comme étant une fausse / vraie nouvelle, qui sont encore des catégories peu englobantes, comme nous l’avons rappelé au début de cet article. La désinformation semble aussi le fait de super-propagateur, à l’instar d’une hypothèse qui avait fait l’objet d’études de modélisations contre la covid-19.

L’exposition à un pathogène étant nécessaire mais non suffisante à l’infection, il en va de même concernant l’adhésion à une fausse nouvelle. Encore plus surprenant, le partage ne semble pas non plus être un bon critère pour déterminer si les individus adhèrent à la fausse nouvelle partagée. (...)

La désinformation, un bouc-émissaire ?

Toujours en filant la métaphore biologique et médicale qui ne fait pas l’unanimité dans le monde de la recherche en information, il existe différentes stratégies préventives et curatives pour permettre de contrer la désinformation. Nous les avions déjà évoquées dans l’article ci-dessous : le pré-bunking et le debunking. (...)

la question centrale reste toujours la même : est-ce que de tels efforts contre la désinformation sont nécessaires ? Ne vaut-il pas mieux accroître la confiance envers les sources fiables au lieu de focaliser notre attention sur le problème, marginal pour certains chercheurs, de la désinformation ? Mais le problème de la désinformation à cela de séduisant qu’il permet de blâmer plus facilement l’individu et concentre une attention particulière du corps politique. Le débat sur cette question n’est pas tranché à ce jour mais ce qui est certain, c’est qu’il n’est pas uniquement question de faire de la science dans ce domaine avec les forts enjeux politiques, technologiques et sociaux qui gravitent autour de cette thématique de recherche. (...)