
Plus que les délestages tournants, les coupures économiques sont encore plus inquiétantes. Artisans, commerçants, industries, collectivités locales, agriculteurs sont asphyxiés par la hausse vertigineuse des factures d’énergie. Alors que de plus en plus de voix s’élèvent pour demander la sortie de l’actuel marché européen de l’énergie pour sauver l’économie et les ménages, le gouvernement se tait.
De toutes parts des cris d’alarme. Des industries, des commerces, des artisans, des agriculteurs, des collectivités locales… bref, l’alerte vient de tous ceux qui ont été exclus, dans le cadre de la libéralisation du marché de l’électricité, des tarifs réglementés et du service public d’EDF, afin de les plonger au plus vite dans « les bienfaits de la concurrence ». Tous disent la même chose : ils sont étranglés par les prix de l’énergie.
La presse locale tient désormais une chronique quasi quotidienne des ravages de la flambée énergétique. (...)
À cette liste interminable viennent s’ajouter les collectivités locales, les services publics ou ce qu’il en reste. Certaines villes, à l’instar de Carhaix (Finistère), ne savent plus comment elles vont pouvoir chauffer et éclairer les écoles, assurer les cantines – on ne parle même plus des piscines et des équipements sportifs –, alors que les augmentations dépassent parfois les 250 %. C’est l’université de Strasbourg qui va s’arrêter pendant 15 jours de plus après les vacances de Noël pour diminuer sa facture énergétique. Ou un hôpital du Havre qui affiche une température de 13 °C dans les chambres.
« Les coupures d’électricité, certes. Mais la semaine dernière, le Tarn-et-Garonne a été coupé pendant une heure et quart sans qu’on en parle », s’impatiente Anne Debregeas, responsable du syndicat Sud chez EDF, qui juge « qu’on en fait un trop » sur les risques d’éventuels délestages. « Ce n’est pas le bon sujet. Le vrai sujet, ce sont les coupures économiques. Il y avait déjà plus de 10,5 % des ménages en situation de grande précarité énergétique en 2020. Combien vont-ils être dans les mois qui viennent ? Les facs obligées de fermer, les hôpitaux qui ne peuvent pas faire face, les entreprises qui sont étranglées à cause de la flambée des prix de l’énergie. Ça, c’est le vrai sujet », dit-elle. (...)
« Si le gouvernement n’agit pas rapidement et fortement, on va assister à une hémorragie économique et sociale sans précédent. C’est toute notre économie et notre société qui sont en risque. Mais c’est aussi les réponses que nous devons avoir pour mener à bien la transition économique pour faire face aux dérèglements climatiques qui seront altérées », dit ce familier du pouvoir qui a requis l’anonymat. Pour lui, une réponse rapide s’impose : « L’énergie est un bien commun essentiel. La puissance publique ne peut laisser au marché la responsabilité de faire des arbitrages à sa place. C’est encore plus vrai avec la transition énergétique, qui va bouleverser nos sociétés et nos moyens de production. Il faut des visions stratégiques à long terme répondant à l’intérêt général. Il faut sortir l’énergie du marché. » (...)
La fausse concurrence du marché électrique
La libéralisation de l’énergie devait apporter, selon la Commission européenne, une concurrence accrue permettant une baisse des prix, une sécurité des approvisionnements, des investissements dans les énergies renouvelables et du futur, renforçant une harmonisation du marché unique et garantissant l’avenir.
Avec le recul, de nombreux économistes, de nombreux connaisseurs des marchés de l’énergie se demandent comment l’ensemble des États membres de l’Union européenne ont pu accepter de « démissionner » et de se rallier sans discussion à la libéralisation des marchés de l’énergie. Est-ce par « naïveté » ? Par « idéologie néolibérale » - thèse la plus souvent retenue – qu’ils ont renoncé à toute intervention dans un domaine aussi essentiel ?
Tous ne peuvent aujourd’hui que constater les dégâts
une dépendance énergétique à l’égard de la Russie, sous l’influence dominante de l’Allemagne, dont l’ensemble de l’Europe paie le prix depuis la guerre d’Ukraine ; une déstructuration de toute l’Europe électrique au profit d’une financiarisation accrue qui ne garantit en aucun cas la sécurité des approvisionnements ; une incapacité de fournir une électricité peu chère, exposant toutes les populations à une volatilité des prix des marchés, qui va poser très rapidement la question de la solvabilité des ménages et de la compétitivité des productions du continent ; une désorganisation, voire une destruction de nombre de filières technologiques (solaire, éolien) indispensables à la transition écologique au nom du libre-échange. (...)
« On a assisté à une capture d’une partie de la rente nucléaire autrefois redistribuée à toute l’économie et à toute la population au profit d’intérêts privés ».
Un expert du marché de l’électricité (...)