Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Alternatives Economiques
« Face au changement climatique, la fenêtre de tir est très étroite »
Article mis en ligne le 15 août 2018
dernière modification le 14 août 2018

Pourtant loin d’être terminé, l’été 2018 marque d’ores-et-déjà un tournant dans notre lutte contre le réchauffement climatique. Feux de forêts incontrôlables en Californie, canicules sans précédent en Europe du Nord ou au Japon : de nombreux rapports scientifiques évoquent désormais le risque d’atteindre un point de rupture. Pour Jean Jouzel - chercheur dans le domaine de l’évolution du climat - nous pouvons encore agir, mais il est impératif que nous relevions l’ambition des 2 °C prévue par l’Accord de Paris.

Canicules en France, en Suède, au Japon, incendies d’une rare violence en Californie ou au Portugal : assiste-t-on à un emballement du réchauffement climatique ?

Malheureusement, les événements actuels correspondent à ce qui était envisagé depuis plus de trente ans par les climatologues. En moyenne, la température à la surface de la terre augmente de près de deux dixièmes de degrés par décennie. A ce réchauffement moyen – directement imputable aux activités humaines – s’ajoute désormais une évolution rapide des « extrêmes climatiques », expliquant notamment la recrudescence et l’intensification des vagues de chaleur, qui ne va pas aller en s’améliorant. Pour une hausse supplémentaire des températures moyennes de 1 °C, les extrêmes augmenteraient ainsi de 2 °C. (...)

Le rapport annuel de l’Agence américaine d’observation de l’océan et de l’atmosphère vient d’ores-et-déjà de confirmer que 2017 a été l’une des trois années les plus chaudes de la planète. Et 2018 pourrait bien battre de nouveaux records.

« Ces changements climatiques rapides sont sans aucun équivalent sur les 10 000 dernières années et nous font entrer dans un tout autre monde » Twitter

Si rien n’est fait pour enrayer cette dynamique, l’été caniculaire de 2003 – qui était 3 degrés plus chaud qu’un été de référence de la fin du XXe siècle – pourrait bien devenir la norme en France après 2050. Les étés caniculaires auraient alors des températures moyennes 6 ou 7 degrés plus élevées que cet été de référence. Par ailleurs, dans un contexte de réchauffement climatique non maîtrisé, on peut craindre des records de température de l’ordre de 50, voire 55 degrés, dans certaines régions à la fin du siècle (...)

Par rapport à ce qui était fait il y a 15-20 ans, les experts climatiques sont de plus en plus sensibles à la notion dite « d’attribution » et – grâce à une meilleure documentation des phénomènes naturels et au développement de modèles climatiques plus élaborés – il ne fait désormais plus aucun doute que le changement climatique augmente la probabilité de survenue d’événements extrêmes. La vague de chaleur observée en Europe du Nord avait ainsi deux fois plus de chances de se produire aujourd’hui que dans le passé. C’est un changement de perspective important. L’étape suivante consistera à établir un lien causal direct entre ces extrêmes climatiques et l’activité humaine. Cette attribution a déjà été établie pour plusieurs pics de chaleur mais sans faire pour l’instant consensus. (...)

l’Europe s’est considérée comme privilégiée pendant un temps, alors que nous sommes en réalité très vulnérables, en témoigne la canicule actuelle. (...)

en France, une projection des risques de feux de forêts à horizon 2050 indique que des régions jusqu’ici épargnées pourraient être sujettes aux flammes, notamment dans le centre et l’ouest du pays.

Malgré tout, c’est incontestablement l’Afrique et l’Asie du Sud-Est qui sont en première ligne. (...)

Dans certaines régions côtières, la principale crainte tient à l’élévation du niveau de la mer, tandis que la Californie est menacée par les feux de forêts incontrôlables, avec des températures qui frôlent, voire dépassent déjà les 50 °C dans la vallée de la mort.

C’est la vie sur Terre qui est menacée ?

Le GIEC a l’habitude de classer les effets du réchauffement climatique en cinq catégories. Outre l’intensification et la multiplication des « extrêmes climatiques » qui nous préoccupent aujourd’hui – et constituent la première d’entre elles – nous assistons à l’augmentation de l’acidité des océans qui absorbent chaque année 25 à 30 % du gaz carbonique que nous rejetons, mettant en danger les récifs coralliens et les animaux marins qui les peuplent. En cas de réchauffement climatique important, c’est la biodiversité dans son ensemble qui est menacée. A moyen ou long terme, certaines espèces ne pourront en effet plus se déplacer aussi vite que les zones climatiques, rendant impossible leur adaptation.

La vie humaine n’est pas épargnée puisque le réchauffement climatique cause des problèmes d’accès à l’eau, induit des déplacements importants de population (on parle de « réfugiés climatiques »), menace notre sécurité alimentaire et augmente le risque de conflits. La dernière catégorie de risques tient à l’existence de phénomènes irréversibles et donc, en premier lieu, à l’élévation du niveau de la mer.

A-t-on atteint un point de rupture ?

Le réchauffement climatique est irréversible, mais nous pouvons encore limiter son ampleur, si nous agissons rapidement. (...)

A terme, si nous perdons le contrôle, c’est la mort de nombreux arbres et de forêts toutes entières qui nous guette. Or, on sait qu’il est quasiment impossible de régénérer une forêt primaire. Nous ne pourrons pas revenir au climat d’hier, mais il est impératif que nous nous attelions rapidement à la maîtrise de ces phénomènes, au risque d’enclencher un « effet domino » irréversible et de voir notre planète se transformer en une véritable serre.(...)

A scénario émetteur inchangé (c’est-à-dire sans respecter l’Accord de Paris), les températures moyennes mondiales pourraient gagner entre 4 et 5 degrés d’ici la fin du siècle. Il est donc impératif que nous respections l’objectif de maintien sous les 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, tout en sachant que la température du globe a déjà pris un degré par rapport à cette période et que notre fenêtre de tir est donc très étroite.

Problème majeur : les engagements qu’ont pris les Etats dans le cadre de cet accord ne permettent pas de tenir l’objectif. Pour le respecter, la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre devrait être trois fois plus importante et intervenir rapidement puisque le CO2 que nous émettons s’accumule au fur et à mesure dans l’atmosphère et vient grossir, chaque jour, un stock qui accélère le réchauffement climatique. (...)

C’est une question qui ne se pose plus simplement dans un long terme indéterminé, mais qui est à portée de génération : ce ne sont pas nos futurs enfants, ni petits enfants, qui sont concernés, mais bien les jeunes d’aujourd’hui. (...)

Au niveau individuel, pouvons-nous encore espérer avoir un impact positif quelconque ?

Bien sûr, cela est possible et souhaitable ! En un sens, le réchauffement climatique est enthousiasmant pour les jeunes générations car il implique de changer tout notre modèle de développement : urbanisme, transport, habitudes d’alimentation et de consommation. Nous avons tous, et je m’inclus dedans, une certaine part d’égoïsme qui rend difficile la prise en compte du changement climatique à notre échelle individuelle, mais il n’y a pas de petit effort pour tendre vers un mode de vie plus sobre. (...)

Et, contrairement à une idée reçue très répandue, la lutte contre le réchauffement climatique n’entrave pas la croissance mais serait, au contraire, le symbole d’un nouveau dynamisme économique. Six millions d’emplois pourraient ainsi être créés en Europe d’ici 2050 et, pour la France seule, l’Ademe évoque un potentiel de 90 0000 créations d’emplois. C’est simplement une autre forme de dynamisme que celle que nous cherchons aujourd’hui, et vers laquelle il nous faut tendre.