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Euro : le miracle ou la mort
par Frédéric Lordon
Article mis en ligne le 27 avril 2020

Après la near death experience, la full death experience ? Rattrapé de justesse par le « whatever it takes » de Mario Draghi en 2012 (1), l’euro, passé à un cheveu, n’avait en réalité que gagné un peu de temps pour se reconstruire entièrement et se rendre capable d’encaisser le choc d’après. Dont il était certain qu’il allait venir. On le voyait plutôt arriver sous la forme d’une nouvelle crise financière géante puisque la déréglementation financière les ré-engendre comme le cycle des saisons les saisons, à plus forte raison quand aucun des problèmes fondamentaux de la sphère des marchés de capitaux n’avait été réglé — à la vérité il n’y a pas trente-six solutions pour supprimer les problèmes de la finance de marché, il n’y en a même qu’une : supprimer la finance de marché.

Mais des intérêts si puissants y sont accrochés si fort qu’il fallait toute la naïveté du monde pour imaginer que, dans le cadre maintenu des institutions politiques du néolibéralisme, quoi que ce soit de sérieux pourrait être entrepris de ce côté-là. (...)

fin 2008 début 2009 on avait vu les gouvernements autoriser des choses étrangement dérogatoires au dogme libéral-européen, on annonçait que tout serait différent, voire plus rien comme avant, qu’on méditerait très fort, tirerait toutes les conséquences. Et puis dès la mi-2009, la vague proprement financière-bancaire de la crise ayant été contenue, le retour à l’écurie était prononcé : tous ces déficits qu’on avait laissés se creuser, c’était pour l’année en cours, pas davantage, le programme désormais était : restauration du sérieux, la dette qu’on ne peut pas laisser à nos enfants, nécessaires efforts — et nous voyons se dessiner une configuration que ni Hegel ni Marx n’avait prévue : la première fois comme farce, la seconde (celle où nous sommes aujourd’hui) comme énorme farce. (...)

Avec toutefois une légère différence : ce qui s’annonce est d’une magnitude qui renvoie l’onde post-subprime à l’état d’aimable clapotis. C’est là le moment de se souvenir que l’euro est passé à ça de faire naufrage dans la mare aux canards — enfin de ce qui nous apparaîtra bientôt comme telle. Or, depuis dix ans, les institutions européennes n’ont pas bougé d’un iota (...)

À quoi s’ajoute que l’humanisme alter-européen a, lui également, tout congelé, en enfermant le débat dans l’unique option de l’autre-euro-possible, démocratique, ça va sans dire, mais sans se poser la moindre question quant à la transformation concrète de la citrouille en carrosse — sans doute suffisait-il de vouloir, mais bien fort. (...)

Alors nous aurons la full death. Car on ne voit pas ce qui pourrait sauver l’Europe de ce qui lui vient dessus, et dont elle avait failli trépasser dans la version « miniature » 2009-2015. En réalité la mécanique est enclenchée, et elle donne déjà les mêmes admirables résultats. On dira cependant que cette fois-ci « c’est différent » : c’est-pas-les-marchés — c’est un virus. Donc un « choc exogène » — les impondérables du dehors de l’économie sinon parfaitement autorégulée, la faute à pas de chance en quelque sorte. Évidemment le virus est rien moins qu’exogène — si c’est par des médiations allongées, il est le produit de la dévastation environnementale capitaliste, et a par ailleurs trouvé ses parfaites voies de propagation dans les circulations frénétiques de la mondialisation. L’essentiel cependant tient à ce que le désastre ne trouve véritablement sa catalyse que dans et par le réacteur des marchés financiers, l’instance où sont rendus les jugements sur les dettes — et où, par gros temps, on a pour habitude de donner à ces jugements la forme du cataclysme. (...)