
(...) Étienne Davodeau — L’énergie en général et le nucléaire en particulier sont des sujets qui m’interrogent depuis très longtemps. Je n’ai pas de formation en physique mais je considère que le nucléaire est un sujet qui déborde largement un contexte scientifique. J’ai retrouvé un dessin que j’avais fait pour le réseau Sortir du nucléaire en 1995.
Puis, il y a quelques années, mon ami dessinateur David Prudhomme a proposé à plusieurs auteurs de bandes dessinées d’aller dessiner dans des grottes ornées de peintures préhistoriques [1]. Le petit mammouth de Pech Merle m’est resté dans l’œil. Je me suis souvenu de Cigéo à Bure [2]. Ces deux choses souterraines se sont articulées presque malgré moi. Une porte d’entrée narrative sur ce sujet des déchets nucléaires s’ouvrait enfin. J’ai fait mon sac à dos et suis parti de Pech Merle en juin 2019. J’ai aussi cherché les intervenants qui pouvaient m’éclairer et témoigner sur ce sujet des déchets radioactifs. (...)
Au vu de tout ce que vous avez appris, qu’est-ce qui vous frappe le plus dans ce projet Cigéo ?
Le vertige que suscite cette fuite en avant de l’industrie nucléaire. On construit des centrales depuis les années 1960. La filière s’est développée de manière complètement délirante, pour atteindre aujourd’hui 56 réacteurs pour 66,7 millions d’habitants. Alors que le monde vit globalement sans le nucléaire — l’atome représente 10 % de la production électrique mondiale —, il représente 67,1 % de la production française.
Il y a plein de choses qu’on ne sait pas faire. On ne sait vraiment pas quoi foutre des déchets radioactifs. Cigéo n’est qu’un projet par défaut, bancal sur le plan technique et injustifiable sur le plan éthique. On ne sait pas démanteler les réacteurs : Brennilis est à l’arrêt depuis 1985 et ne sera démantelée qu’en 2040. Mais on nous vend cette électricité formidable à grands coups de communication avec ciel bleu et herbe verte. (...)
Au vu de tout ce que vous avez appris, qu’est-ce qui vous frappe le plus dans ce projet Cigéo ?
Le vertige que suscite cette fuite en avant de l’industrie nucléaire. On construit des centrales depuis les années 1960. La filière s’est développée de manière complètement délirante, pour atteindre aujourd’hui 56 réacteurs pour 66,7 millions d’habitants. Alors que le monde vit globalement sans le nucléaire — l’atome représente 10 % de la production électrique mondiale —, il représente 67,1 % de la production française.
Il y a plein de choses qu’on ne sait pas faire. On ne sait vraiment pas quoi foutre des déchets radioactifs. Cigéo n’est qu’un projet par défaut, bancal sur le plan technique et injustifiable sur le plan éthique. On ne sait pas démanteler les réacteurs : Brennilis est à l’arrêt depuis 1985 et ne sera démantelée qu’en 2040. Mais on nous vend cette électricité formidable à grands coups de communication avec ciel bleu et herbe verte. (...)
Bure, c’est très tranquille, sept habitants au kilomètre carré. Mais les gendarmes sont là, à demeure ; il y a des hélicoptères, les opposants sont surveillés. Un après-midi d’été, lors de ma première visite, Michel Labat et moi avons pris ma voiture et emprunté une petite route déserte pour nous rendre au bois Lejuc. Là, nous avons vu surgir deux camions de flics et deux motards en kaki qui nous ont contrôlés, photographiés, etc. L’emprise de Cigéo sur la vie des gens là-bas est terrifiante et anormale dans notre démocratie. (...)
Il faut rappeler aux gens que, pour l’instant, il y a zéro déchet nucléaire à Bure. Le permis de construire n’est pas déposé. L’enquête publique sur la déclaration d’utilité publique vient juste de commencer. Une lutte est en cours et des recours sont encore en attente. On n’est pas du tout à la fin de quoi que ce soit !
Mais, le côté glaçant de l’histoire, c’est que l’industrie nucléaire n’a pas le choix : elle doit traiter ces déchets d’une manière ou d’une autre, sans quoi son existence elle-même sera remise en cause. D’où ce projet par défaut. Il y a pourtant d’autres options : le physicien Bernard Laponche évoque le stockage en subsurface, une possibilité qui n’a même pas été vraiment considérée par la filière et les gouvernements successifs. (...)
En enterrant profondément ces déchets, on s’en débarrasse au moins autant mentalement que techniquement. C’est le refoulé dont parle la sémiologie. On fout tout ça dans un trou et on le rebouche en espérant que ça va bien se passer ; et que si ça ne se passe pas bien, ce ne sera pas pour notre gueule mais pour la vingtième ou trentième génération après nous. Il y a une espèce d’immense lâcheté collective là-dedans.
Ce qui va se passer à Bure est déterminant. Il faut être aux aguets des résultats de l’enquête publique et aussi d’éventuels passages en force.