
Histoire de changer un peu de registre, de suspendre pour un moment la comptabilité des contaminés du coronavirus, de ne pas céder à la panique des propos et commentaires qui ne s’autorisent que de la seule crédulité de ceux qui les tiennent. Je vais reprendre cette série que j’avais entamée il y a déjà quelque temps et que j’avais abandonnée.
DERNIERS TEXTES D’ALAIN BADIOU
En 2012, Alain Badiou avait proposé, chez Fayard, ce qui n’était pas une traduction de La République de Platon mais une transposition du texte qu’il suivait dans ses grandes articulations dans le contexte actuel. Le résultat a fait frémir les spécialistes de Platon, mais je n’en suis pas et j’ai trouvé cette audace absolument réjouissante et politiquement passionnante. Les éditions Fayard qui publient les séminaires que Badiou a tenus à Ulm depuis 1966 propose ceux qu’il a consacrés à Platon, parallèlement à son travail de relecture de La République Pour aujourd’hui : Platon ! 2007/2010. Ce qui sonne comme un mot d’ordre, comme un slogan politique qui peut paraître paradoxal à une époque où les gens lisent peu et en particulier Platon. (...)
Badiou a, sur la situation actuelle, un avis définitif : avec une sévérité absolue, il dénonce les illusions des régimes démocratiques qui ne sont que le masque d’une confiscation du pouvoir par une oligarchie ; la toute-puissance de la finance a été un des résultats de l’échec de ce qu’on a appelé le socialisme réel – échec dû aux contradictions dans lesquelles se sont enfermés tant le stalinisme que le maoïsme ; la plus destructrice ayant été d’être restés prisonniers d’un culte de l’Etat, d’une fétichisation de la forme étatique, qui, dans son souci obsessionnel de stabiliser la société, de mettre un terme au mouvement révolutionnaire pour gérer les bénéfices d’une victoire sur l’ancien régime défait, reproduit ses méfaits, remplace la domination de l’ancienne classe par la domination du Parti. « L’Etat de dictature du prolétariat qui devait être un Etat transitoire, une espèce de bref intervalle entre une société étatisée et une société non-étatisée, s’est installé comme une figure d’Etat despotique légitimée, justifiée », justifiée par toute une idéologie mensongère. On retrouve les vieux débats sur la révolution permanente et sur les slogans maoïstes – « plein feu sur le Comité central ! ». (...)
Cet échec des révolutions, il faut en prendre acte.
L’échec de la Révolution d’octobre, celui de la Révolution chinoise semblent sonner le glas de toute possibilité d’émancipation. Nous vivons une époque sans Idée, le constat est terrible. (...)
Et pourtant, il y a une gauche, une sociale-démocratie qui pourraient être porteuse de cette Idée d’émancipation. Le malheur est que la gauche, pour dire vite les choses, se contente d’une dénonciation purement incantatoire du système actuel mais refuse viscéralement de le détruire
Est-ce à dire que cette Idée d’émancipation n’existe pas ? Badiou lui donne le nom de « communisme » - rien à voir, bien sûr, avec ce que nous avons pu connaître ; une manière de renouer avec ce qui a tenté de se vivre lors de la Commune de Paris. Mais comment anticiper la réapparition de cette Idée ? On ne peut pas la programmer – programme commun de la gauche – quelle illusion ! Elle surgira d’un concours de circonstances absolument imprévisible, elle aura la fulgurance d’une émeute, d’un soulèvement, elle détruira ce socle sur lequel repose les sociétés, la sacro-sainte propriété privée, mais les formes que tout cela prendra demeurent indécidables. (...)
Comment s’en sortir ? Autre manière de se poser la question léniniste du Que faire ? Comment sortir de la Caverne où nous vivons sous l’emprise des images qui nous sont imposées comme étant le réel lui-même alors qu’elles ne sont qu’une manipulation d’ombres ? (...)