
Les dix plaies d’Égypte, appliquées au nouveau monde. En pleine épidémie de coronavirus, les habitants du comté de Midland, aux Etats-Unis ont eu la mauvaise surprise de découvrir qu’en raison des négligences répétées de leur propriétaire, deux barrages hydrauliques ne résisteraient pas aux pluies diluviennes qui se sont abattues sur la région mi-mai, causant d’impressionnantes inondations.
Plantons le décor. Nous voici transportés dans l’état du Michigan, au nord-ouest des États-Unis, un état du Midwest presque entièrement bordé par les Grands Lacs américains, dont la capitale – Lansing – est restée dans l’ombre de la ville qui a fait jadis la renommée de la région : Détroit, « Motor-town », la ville de (feu) l’industrie automobile.
La rivière Tittabawassee est à l’image de Lansing : une rivière confidentielle, qui étend son lit de quelques 110 km au beau milieu de la péninsule inférieure, avant de rejoindre la rivière Saginaw, qui ira elle-même se jeter dans le Lac Huron, un des trois Grands Lacs de la région. Cette rivière a été aménagée au début du 20ème siècle, d’une part pour contrôler les crues, et d’autre part pour la production hydroélectrique : dès 1924, quatre barrages sont construits sur son tracé : depuis l’amont vers l’aval les barrages de Secord, Smallwood, Edenville et Sanford [1] [2]. A l’aval du barrage de Sanford se situe la ville de Midland, 40 000 habitants, capitale du comté du même nom. (...)
Deux barrages en remblai aux dimensions modestes retiennent l’eau nécessaire à cette production : d’une hauteur d’une dizaine de mètres, ils sont composés de plusieurs digues en terre, entrecoupées de déversoirs en béton, qui servent de soupape de sécurité en cas de crue en permettant l’évacuation du débit excédentaire. Ces déversoirs sont primordiaux pour la sécurité de l’ouvrage ; en effet, contrairement aux barrages voute, les barrages en remblai sont extrêmement sensible au risque de débordement : le moindre petit débit d’eau qui submergerait la digue entrainerait avec lui le matériau qui la compose, provoquant ainsi une augmentation dudit débit, qui entrainerait un peu plus de matériau, provoquant à terme la rupture complète de l’ouvrage.
Ces deux barrages forment les retenues de Sanford et de Wixom, deux grands lacs d’une dizaine de kilomètres de long, qui font la joie des plaisanciers et des habitants locaux. (...)
En 2004, les 4 barrages de la rivière Tittabawassee sont rachetés par l’entreprise privée Boyce Hydro Power LLC, les actuels exploitants, qui sont immédiatement prévenus du sous-dimensionnement des évacuateurs de crue d’Edenville par l’autorité de régulation américaine. Rien ne se passe.
En 2015, Boyce Hydro prévoit d’augmenter la capacité de production du barrage de Sanford. Mais toujours rien du côté des évacuateurs de crue. (...)
Ruptures en cascade
En mai 2020, des pluies importantes s’abattent sur la région, et le niveau des cours d’eau commence à monter. (...)
Le 19 mai à 19h45, la digue est du barrage d’Edenville est submergée, entrainant rapidement la rupture de l’ouvrage (...)
A l’aval, le barrage de Sanford ne résiste pas à l’afflux massif d’eau, et rompt à son tour. Le 20 au matin, la station de mesure de Midland enregistre son plus haut niveau jamais atteint, plus de 4 mètres au-dessus du seuil d’alerte. (...)
La rivière sort de son lit et submerge les alentours [11]. En pleine épidémie de Covid-19, plus de 10 000 personnes doivent être évacuées, et relogées dans des gymnases alentours [12]. Dans la ville de Midland, l’inondation atteint de nombreuses habitations et bâtiments publics. (...)
suite aux inondations de 1986, le centre avait pris en compte ce risque en surélevant entre autre ses générateurs de secours [6]. De sages précautions qui n’ont pas été prises par l’ensemble des industriels du comté.
Loi de Murphy
L’entreprise Dow Chemical, géant mondial de la chimie dont le siège se situe à Midland, y possède une usine de fabrication le long de la rivière Tittabawassee. L’inondation a franchi les digues de rétention du site et a atteint une décharge contaminée aux dioxines. (...)
Manifestement, cet évènement montre que la gestion des risques d’une centrale électrique et des ouvrages associés n’est pas anodine, demande compétences et savoir-faire qui, s’ils viennent à manquer ou s’ils ne sont pas correctement et régulièrement contrôlés, peuvent générer des dommages disproportionnées par rapport au service que l’usine rend au quotidien. (...)
En 2019, l’agence de presse Associated Press a publié les résultats d’une passionnante enquête de 2 ans portant sur l’état des barrages américains [14]. On peut notamment y lire que, si le nombre de morts occasionnés par les ruptures de barrages a largement diminué depuis la décennie meurtrière des années 70, pas moins d’un millier de barrage ont été détruits sur les 40 dernières années, faisant 34 victimes, et des dégâts souvent exceptionnels. (...)