
Depuis 2010, un dispositif existe afin que les « irradiés du Pacifique » fassent valoir leurs droits ou obtiennent réparation pour ceux de leurs proches qui sont décédés. Mais les lois, les décrets et les décisions contradictoires du Conseil d’État se sont multipliés, sans effet autre que de compliquer la tâche des demandeurs et de décourager toutes les velléités.
(...) « J’ai monté mon dossier avec tous les documents qu’ils demandaient et j’ai attendu leur réponse, poursuit Heiata. Ils m’ont répondu qu’un médecin allait se déplacer, un médecin du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), un expert médical. Cette visite a eu lieu en avril 2019. La décision par laquelle le Civen a arrêté le montant de l’indemnisation date de 2019. Auparavant, par décision du 7 janvier 2019, le Civen m’a reconnue victime “potentielle” des essais nucléaires. Je trouve cela insultant. Pour moi, cela a toujours été clair que mon cancer de la thyroïde et ma leucémie ont été dus aux essais. Pour moi, le mot “potentielle” sur tous les documents est une façon pour eux de dire “peut-être” et pour moi c’est oui, ou non, pas peut-être », s’anime la quadragénaire, avide de témoigner. « Selon moi, si j’ai droit à une indemnisation, c’est que c’est un peu plus que “peut-être”. Non ? »
Heiata est en colère. Et elle ne compte pas en rester là. Par l’intermédiaire de son avocat – elle est l’une des très rares, peut-être la seule, victime des essais reconnues par la France à ne pas être passée par une association de victimes –, elle a interjeté appel de la décision du Civen. (...)
Pour elle, le mot « potentielle » s’ajoute à l’offense de la faiblesse du montant d’indemnisation qui lui est proposée. La reconnaissance est incomplète, la somme est dérisoire. Il faut l’écouter raconter les déflagrations des essais nucléaires dans son existence. (...)
Un des essais que l’armée a baptisé d’un nom tiré de la mythologie gréco-latine (au choix, Encelade, Rhéa, Ariel, Melpomène…) a franchi les 1 500 kilomètres qui séparent les atolls de Mururoa et Fangataufa et a blessé l’enfant qu’elle était.
Ensuite, à partir de 2002 et surtout de 2009, pour Heiata, il y a eu la douleur, la peur, et son père « qui a dû prendre un crédit, s’endetter pour faire le voyage à Paris ». (...)
Et encore, les Polynésiens souffrant d’une maladie radio-induite, ou s’estimant victimes des essais parce qu’ils ont perdu un proche, ne peuvent-ils faire valoir leurs droits que depuis 2010. (...)
C’est en 2010, avec la « loi Morin », qu’a été créé le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le Civen. (...)
le problème est censé avoir été réglé en 2017, lorsque la loi Égalité réelle pour l’Outre-mer (EROM) a acté la suppression du « risque négligeable » et a réaffirmé solennellement que la présomption de causalité est en faveur du demandeur.
Selon les termes de cette loi, c’est à la France de prouver – si et seulement si le demandeur a auparavant fait la preuve du type de maladie en cause et qu’il était présent dans une zone contaminée à une date ou pendant une période concernée pendant la contamination – que la maladie n’est pas radio-induite. La loi a été adoptée à l’Assemblée nationale et au Sénat, à Paris, mais rien n’y a fait. (...)
Depuis 2010, 1 500 dossiers, vétérans compris, ont été déposés devant le Civen. Parmi ce nombre de dossiers, déjà très faible au vu de l’immensité de la population concernée par les conséquences des essais, à peine plus d’une centaine ont été considérés comme recevables par l’institution. (...)
le Parlement français a voté une nuit de mai 2020, au beau milieu d’une loi sur les conséquences de l’épidémie de Covid-19, une réforme des critères d’indemnisation des victimes des essais nucléaires. (...)
l’une des conséquences, et pas la moindre, des critères votés en mai 2020 par l’Assemblée nationale et le Sénat, à Paris : les demandeurs nés après la fin des essais aériens sont exclus de fait des dispositifs d’indemnisation. Et ce même si un membre du Civen reconnaît off the record que « bien sûr que les essais souterrains ou sous-marins ont eu des conséquences ». (...)