
Dans son dernier récit, « Une sortie honorable », l’écrivain aborde la guerre d’Indochine, largement reléguée dans la mémoire nationale, et le cadre politique et financier qui l’a soutenue. Entretien sur la politique, l’histoire et la littérature.
Avec Une sortie honorable, Éric Vuillard, prix Goncourt en 2017 pour L’Ordre du jour, continue de composer une œuvre située entre histoire, littérature et politique. Après La Guerre des pauvres (2019), récit consacré à la révolte paysanne menée par Thomas Müntzer dans le sud de l’Allemagne au début du XVIe siècle, 14 juillet (2016) sur la prise de la Bastille, Tristesse de la terre (2014), qui porte sur la disparition des Indiens d’Amérique, ou encore Congo (2012) sur la colonisation, l’écrivain plante son récit en Indochine, pour évoquer la longue guerre que la France y mena à peine la Seconde Guerre mondiale terminée.
Le texte court des débuts du conflit jusqu’à la bataille de Diên Biên Phu, en 1954, qui obligea les troupes françaises à renoncer à la « sortie honorable » espérée par les politiques et les généraux. Bataille au sujet de laquelle Éric Vuillard écrit : « On l’avait attendu l’affrontement, on l’avait crânement appelé, eh bien le voici ! Et comme d’habitude, c’est beaucoup moins drôle que dans les livres, beaucoup moins beau que sur les peintures, plus triste encore que dans les souvenirs. » (...)
Mais, peut-être avec davantage encore de mordant que dans ses précédents ouvrages, le zoom historique proposé par l’écrivain résonne avec notre monde présent, issu de cette histoire largement méconnue : retour du refoulé colonial, idéologie véhiculée par la langue politique, puissance de la finance, à propos de laquelle Vuillard écrit que « nous voyons bien que nous marchons sans cesse dans les mêmes traces, que nous nouons toujours les mêmes fils autour des mêmes pantins, et ce ne sont pas des fils de fer attachant des poignets faméliques, ce sont des fils d’or liant et reliant les mêmes noms, les mêmes intérêts ». (...)