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« En même temps » : tortionnaire et prof à la Sorbonne
Article mis en ligne le 19 décembre 2019

Mario Sandoval enfin extradé le 13 décembre vers l’Argentine où il va être jugé pour crime d’enlèvement, torture et disparition sur la personne d’Hernan Abriata (cas retenu pour l’extradition) a occupé en France pendant 25 ans des positions stratégiques dans l’enseignement et dans la vie économique et politique en tant qu’expert en Intelligence économique.

Restent les questions sur l’utilisation de ses talents d’idéologue issu d’une dictature sanglante par une fraction de la classe politique française.

Il faut rappeler que Mario Sandoval est soupçonné de crimes contre l’humanité, de tortures et de disparitions de plusieurs centaines d’hommes et de femmes séquestrés à l’Esma, l’école spéciale de mécanique de la marine pendant la dictature argentine de 1976. Voir la note complète sur Mario Sandoval.

Dans la presse, depuis son départ sous escorte pour Buenos Aires, sous la pression des lecteurs abasourdis par la protection dont a bénéficié au coeur de l’état et de l’université française un homme suspecté de crimes contre l’humanité des questions ont été posées à Jean Michel Blanquer actuel Ministre de l’éducation et en 1998 directeur de l’IHEAL au moment du recrutement de Mario Sandoval.

Jean Michel Blanquer s’est défaussé de toutes responsabilités en disant à Libération qu’il s’était contenté de valider le recrutement proposé par Carlos Quinan, un professeur d’Economie directeur de DESS et qu’il ignorait le rôle de Mario Sandoval pendant la dictature.

Ce professeur en économie a assuré lui aussi dans Libération « qu’initialement personne ne connaissait à l’IHEAL le passé tortionnaire de Sandoval. Et dans mon cas, cela aurait été rédhibitoire car je suis un ancien prisonnier politique argentin des années 70 », sans nous répondre sur la question de la responsabilité du recrutement. »

Effectivement, Carlos Quenan est un économiste réputé, vice président de l’Institut des Amériques. Il est consultant auprès de plusieurs gouvernements latino américains. Il a été très critique du bilan du Président Macri ultra libéral et il a été invité par le nouveau Président Alberto Fernandez lors de sa prise de fonction. On ne l’imagine donc pas sympathisant de la junte militaire argentine qui a fait un coup d’état en 1976 et est responsable de 30.000 disparitions.

En septembre 2017, ni Carlos Quenan, ni Jean Michel Blanquer (alors Ministre de l’Education) ne se sont associés à la Lettre ouverte à la cour d’appel de Versailles en faveur de l’extradition de Mario Sandoval signée par 12 professeurs de l’IHEAL.

Par ailleurs, Capucine Boidin, directrice de l’IHEAL et Olivier Compagnon, directeur du CREDA-UMR 7227 ont publié un communiqué le 12 décembre 2019 dans lequel ils se réjouissent vivement que le Conseil d’État ait validé, le 11 décembre 2019, l’extradition de Mario Sandoval vers l’Argentine afin qu’il y réponde des crimes contre l’humanité qu’il est accusé d’avoir perpétré pendant la dictature militaire des années 1976-1983.

Aujourd’hui, les enseignants titulaires de l’IEHAL sont une douzaine et Jean Michel Blanquer est « en détachement ». Il est inimaginable que les validations des quelques recrutements annuels de chargés de cours en 1998 ne se soient pas faits au vu de Curriculum Vitae, dont celui de Mario Sandoval.

Or, après les révélations dans la presse en 2008 du passé tortionnaire du Mario Sandoval cité dans le rapport officiel sur les disparitions (CONADEP) et durant la long processus judiciaire permettant d’établir que c’était bien la même personne que celui qui avait été naturalisé en France en 1997, des enseignants de l’IHEAL ont cherché la trace du curriculum vitae de Mario Sandoval présenté à l’IHEAL. Un professeur de l’Université de Marne la Vallée a retrouvé le Curriculum Vitae que Mario Sandoval avait fourni en 2000 pour obtenir un poste de Maître de conférence à Marne la vallée. Il en avait eu connaissance parce qu’il avait été transmis en 2000 à son DESS pour expertise par le service des Enseignements de l’université. Il avait mis son veto. Son supérieur hiérarchique avait transmis cette décision au service des Enseignements. (...)

Pendant la dictature sanglante de la junte argentine entre 1976 et 1983, la fonction d’enseignant dans des écoles militaires et de la police ne pouvait qu’éveiller de forts soupçons sur le positionnement de Mario Sandoval à l’égard de la dictature. Beaucoup de militaires argentins avaient été formés par le Centre français d’instruction à la pacification et à la contre-guérilla créé le 10 mai 1958 suite aux succès obtenus avec la torture pendant la bataille d’Alger et les formations devaient s’inscrire dans ce cadre. (...)

Bien sûr, Mario Sandoval n’explicitait pas dans son curriculum vitae son rôle opérationnel dans le centre de séquestration de la ESMA, mais il a considéré en 2000 et sans doute au moment de son recrutement à l’IHEAL qu’il devait se faire valoir de fonctions d’enseignant en Argentine pour justifier son recrutement par l’université française. Les renseignements fournis étaient suffisants pour quelqu’un d’averti et soucieux de la responsabilité de laisser des étudiants à la merci de professeurs au passé douteux. En cas de doute, il fallait demander des compléments d’information aux services compétents. (...)

Pour illustrer la gravité d’avoir confié des enseignements à l’IHEAL à un personnage comme Mario Sandoval, il faut rappeler qu’une enseignante de l’IHEAL Cassandra Bouvier et une étudiante Houria Moumni ont été violées et tuées en juillet 2011 dans la Province de Salta au nord de l’Argentine. Ces crimes horribles ont fait l’objet d’une enquête bâclée et la condamnation de suspects semble avoir été le moyen de dissimuler une exécution liée à une recherche menée par les deux femmes sur les détournements de fonds envoyés par des organismes internationaux et des associations pour les populations « indigènes » du nord de l’Argentine.

Ce drame fait penser à l’infiltration dans les organisations de défense des droits de l’homme françaises pendant la dictature de 1976 de "l’ange de la mort" Alfredo Astiz, un lieutenant argentin de frégate spécialiste de la torture, dirigeant d’un commando spécial de l’ ESMA École supérieure mécanique de la marine argentine. Deux religieuses françaises, Alice Dumont et Léonie Duquet repérées par lui lors de ses « missions de renseignement »à Paris ont subi des tortures à l’ESMA une dizaine de jours en décembre 1977, avant d’être « transférées », c’est-à-dire jetées à la mer pendant un faux transfert en hélicoptère.

Alfredo Astiz et 11 autres inculpés dans le procès de l’ESMA ont été condamnés le 26 octobre 2011 à la réclusion à perpétuité en Argentine après 22 mois de procès.

Malgré cela, dans Libération, « Polymnia Zagefka, qui succéda à Jean-Michel Blanquer à la tête de l’IHEAL, ne « pense pas du tout qu’il ait été au courant ». C’est elle qui a mis un terme à la collaboration de l’Argentin. Estimant qu’un colloque que Sandoval devait organiser en 2004 « n’était pas scientifique, car il n’avait invité que des militaires », Zagefka avait annulé le financement du colloque et décidé de ne pas renouveler son contrat en 2005. »

La formule « non scientifique » parce que les invités étaient exclusivement militaires est euphémique. Ce colloque devait se tenir à la Maison d’Amérique Latine et après ce refus de la direction de l’IHEAL, il semble que Mario Sandoval ait eu l’appui du Ministère des Affaires Etrangères pour l’organiser dans le Centre de Conférences Internationales de l’Avenue Kléber une semaine plus tard. (...)

Outre ses activités universitaires en France, (il était encore professeur au Centre Français de Recherche sur le Renseignement en 2010, après les révélations sur son passé argentin) Mario Sandoval aurait participé à des missions auprès du gouvernement de Sarkozy en tant que conseiller et il a été à l’origine de la création en 1998 de L’Association Internationale Francophone d’Intelligence Economique (AIFIE) . Il en a été le vice Président en 2012.

Lors d’un colloque organisé par cette association, M. Stéphane Witkowksi, président du conseil de gestion de l’Iheal et directeur des affaires européennes de l’ACFCI (Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d’Industrie), où Philippe Clerc s’occupe aussi d’intelligence économique, faisait l’éloge de M. Sandoval : (...)

Il s’agit donc de comprendre quels intérêts les autorités françaises et les universités ont eu à donner à Mario Sandoval un rôle important dans l’évolution du renseignement économique français.

Toujours sur son blog, Mario Sandoval présente son action en France en mettant en exergue une phrase de Pascal : « L’art de persuader a pour objet la manière dont les hommes consentent à ce qu’on leur propose et aux conditions qu’on veut leur faire croire »

On peut donc penser que certains secteurs de l’université française ont délibérément cherché à recruter des enseignants capables de diffuser un discours et d’être persuasif pour contrebalancer l’enseignement des marxistes et des radicaux.

On sait que la France a toujours été le lieu d’une bataille idéologique furieuse et depuis au moins les années 80, la droite réactionnaire et ultra libérale a cherché à balayer l’héritage des Lumières et de la raison et à reprendre le contrôle idéologique des lieux de diffusion culturelle largement occupés par la gauche.

Sous prétexte d’ouverture aux différents courants de pensée, l’avant-garde du « En même temps » a cherché surtout à liquider toutes les pensées s’opposant à la mondialisation ultra libérale. (...)

De fait, un ancien tortionnaire, liquidateur féroce en Argentine de tous les opposants au modèle néo libéral et inégalitaire s’est proposé et a réussi en partie à organiser les nouveaux modes de coopération de la France dans le Monde.