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l’Humanité.fr
« En Europe comme en Afrique, les politiques libérales sont incompatibles avec l’exigence de dignité »
La gloire des imposteurs - Lettres sur le Mali et l’Afrique, Boubacar Boris Diop, Aminata Traoré. Editions Philippe Rey, 2014.
Article mis en ligne le 5 mai 2014
dernière modification le 29 avril 2014

Dans « La Gloire des imposteurs », essai nourri de leurs échanges épistolaires, l’essayiste malienne Aminata Traoré et le romancier sénégalais Boubacar Boris Diop ouvrent une stimulante réflexion sur le « cas d’école » que représentent à leurs yeux la crise malienne. L’occasion, pour eux, de reposer la question de l’émancipation politique, sur un continent qui a payé cher l’addition des politiques néolibérales.

(...) Aminata Traoré. On ne peut nier la violence de cette occupation du nord du Mali par des groupes qui ont violé les libertés les plus fondamentales.

Mais on ne peut pas poser la question de leur libération en l’absence des Maliens, sans leur contribution à l’analyse de leur propre situation. Un proverbe de chez nous dit que l’on ne peut pas raser la tête de quelqu’un en son absence. C’est ce qui nous est arrivé. (...)

Nous avons été submergés par cette réalité. Nous avions besoin de comprendre ce qui nous arrivait, d’analyser les évènements pour organiser la riposte. Face à cette situation, face à cette violence, avec la débandade de notre armée, c’est non seulement l’intégrité du territoire qui était atteinte, mais aussi notre intégrité en tant que peuple. Il était nécessaire de remonter à l’origine de ces faits. Pourquoi ces atrocités étrangères à l’Islam que nous pratiquons ? Pourquoi le Mali ? Pourquoi à ce moment-là ? Ces interrogations ont été jugées inopportunes par la France, déjà engagée dans une préparation minutieuse de son intervention militaire. (...)

François Hollande savait, dès son arrivée au pouvoir, que la France allait intervenir au Mali. Les plans étaient en place, il a simplement attendu le moment opportun. L’épisode de Kona n’a pas été choisi au hasard, a proximité de cette localité se trouve l’aéroport de Sévaré, un lieu stratégique d’un point de vue militaire. Cette guerre a été imposé dans un contexte où le peuple malien, privée de réflexion souveraine sur sa propre situation, était livré au désespoir, au désarroi. Les débats étaient verrouillés, monopolisés par RFI et France 24, des médias liés au gouvernement français. Il n’y avait aucun espace pour déconstruire l’argumentaire des tenants de cette intervention militaire. (...)

Autrefois les grandes puissances intervenaient de façon unilatérale, sans états d’âme. Désormais, elles prennent le soin de se couvrir de l’aval juridique du Conseil de sécurité de l’ONU qui se prête à ce jeu. Le cas malien est édifiant de ce point de vue. Chacune des résolutions a été préparée par la France elle-même. Nous, Maliens, en apprenions le contenu en même temps que le reste du monde. La façon dont on envisage cette notion de « communauté internationale » pose un énorme problème. (...)

. L’activisme de la France se déploie dans quelques anciennes colonies d’Afrique subsaharienne qu’elle contrôle depuis longtemps, sur lesquelles sa mainmise est avérée. Au Zimbabwe, en Afrique du Sud, on est à peine conscient de l’existence de la France. Effectivement, lorsque la France intervient au Mali, elle a un œil sur les matières premières, par exemple sur l’uranium qu’Areva exploite au Niger. Nous rappelons, dans ce livre, à quel point l’uranium nigérien est important pour l’indépendance énergétique de la France. Au fond, notre perte d’indépendance politique constitue le prix à payer pour l’indépendance énergétique de l’ancienne puissance coloniale. Idem pour Total au Gabon ou au Congo (...)

Que pensez-vous du bras de fer qui a récemment opposé le gouvernement nigérien à Areva ?

Boris Boubacar Diop. Il faut rappeler que depuis 1960, chaque fois qu’un gouvernement, au Niger, a posé la question de l’uranium, cela lui a été fatal. Là, le président Mahamadou Issoufou a osé. C’est l’indice d’une perte d’influence de la France, qui ne fait plus peur. C’est très important. La multinationale veut dicter ses conditions par l’intimidation. Pour tenter de « faire entendre raison » au Nigériens, Areva est allé jusqu’à brandir la menace d’un partenariat stratégique avec la Mongolie, qui abrite aussi des ressources uranifères. Une mine a été fermée sous prétexte de maintenance. Même cela, c’est nouveau. Il n’y a pas si longtemps, ils ne se seraient pas donné tant de mal. (...)

Aminata Traoré. L’Afrique est sommée d’assumer les conséquences de politiques libérales qui, en France et en Europe, précipitent les responsables politiques, de gauche comme de droite, dans des abîmes d’impopularité. Ces politiques libérales sont incompatibles avec l’exigence de travail, de dignité. En Europe comme en Afrique. Nous n’avons pas d’autre choix, il faut consolider les luttes sociales. (...)

S’il y a un pays de l’ancienne Afrique équatoriale où la France n’a jamais cessé d’intervenir militairement et politiquement, c’est bien la Centrafrique. Ce qui explique en partie la vulnérabilité extrême de ces pays, c’est l’identification des acteurs politiques à leurs ethnies, un phénomène prégnant dans les pays dominés, souffrant d’un déficit total d’éducation citoyenne et politique. (...)

La mise en scène de clivages ethniques ou religieux permet d’occulter les questions essentielles. C’est vrai aussi au Mali, avec cette prétendue coupure entre le nord et le sud, entre les Touareg et le reste du pays. Il faut en sortir, inscrire le dialogue dans le registre du développement. Ceux qui prétendent que l’Etat central a abandonné le nord ont-il la certitude que ce même Etat a développé le sud du pays ? Si ce n’est pas le cas, alors il faut se battre, ensemble, pour des alternatives économiques viables au nord comme au sud.
(...)

Boris Boubacar Diop.
L’être humain est toujours parti à la recherche du bonheur, partout. C’est un phénomène humain normal, auquel on a donné une connotation particulière en bouclant les frontières. On rend la vie insupportable aux gens en Afrique et dans le même temps, on les assigne à résidence. Les pirogues des pêcheurs ruinés par le pillage des ressources halieutiques sur les côtes de l’Afrique occidentale deviennent des embarcations de fortune transportant clandestinement des jeunes à destination de l’Europe. On a retrouvé jusqu’à des cadavres de jeunes Africains accrochés au train d’atterrissage d’un avion. En réalité, tous ces jeunes veulent seulement vivre. Ils seraient volontiers restés dans leur pays natal, mais il n’y a pas de perspectives. Partir coûte très cher. On ignore le nombre de morts. Ils sont des milliers, au fond de l’océan… (...)