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En Australie, une centrale exploitée par Engie confronte les habitants à un cruel dilemme : la pollution ou le chômage
Article mis en ligne le 31 mai 2016
dernière modification le 26 mai 2016

En Australie, la multinationale française Engie possède une centrale électrique au charbon, Hazelwood, qui figure parmi les plus polluantes du monde. Il y a deux ans, la mine qui l’alimente a subi un immense incendie, qui a ouvert les yeux des habitants sur les risques environnementaux et sanitaires importants que ces activités industrielles font peser. Mais la peur d’une fermeture abrupte de la mine et de la centrale, dans une région économiquement sinistrée, reste forte. Après des années à subir des conséquences de l’exploitation du charbon, les travailleurs et les riverains vont-ils se retrouver une nouvelle fois victimes, cette fois de la transition pour sortir des énergies fossiles ?

« C’était abominable », se souvient une habitante. Il y a deux ans, un gigantesque incendie a ravagé pendant 45 jours la mine à ciel ouvert Hazelwood, dans l’État de Victoria en Australie. Un événement marquant dans l’histoire du site et de la centrale électrique adjacente, toutes deux propriétés du groupe énergétique français Engie (ex-GDF Suez). Cette centrale au lignite, la forme la plus « sale » du charbon, figure parmi les plus polluantes de monde. Et beaucoup s’accordent à dire que le sous-investissement imposé à Hazelwood par sa société mère est responsable de l’énorme incendie de la mine.

Les dernières braises ont été éteintes en mai 2014. Les dégâts se chiffrent en dizaines de millions de dollars. La petite ville voisine de Morwell, à 150 kilomètres de Melbourne, a été plongée dans la fumée, mais plusieurs semaines se sont écoulées avant que les autorités n’encouragent les habitants à partir. Les gens se sont plaints de difficultés respiratoires, de maux de tête, de problèmes de peau. « Les taxis refusaient de venir à Morwell », se souvient Wendy Farmer, habitante de Morwell qui a fondé le groupe « Voices of the Valley » suite à l’incendie de la mine. « La plupart des enfants ont été évacués, mais de nombreuses personnes âgées ont refusé de partir. Elles mettaient des serviettes humides autour de leurs portes et de leurs fenêtres pour empêcher la fumée d’entrer. » (...)

Une première commission d’enquête, mise en place en 2014 avec un mandat restreint, a confirmé que l’incendie aurait pu être facilement évité avec des mesures de sécurité et de prévention adéquates. Engie s’est empressée de suivre ses recommandations. Mais c’était sans compter sur le mécontentement persistant des habitants, et sur l’arrivée au pouvoir de l’opposition travailliste dans l’État de Victoria, à la fin de l’année 2014. Une nouvelle commission d’enquête, plus large, a été mise en place, avec les mesures de suivi environnemental, sanitaire et épidémiologique à long terme réclamées depuis de nombreux mois par les habitants de Morwell. Et l’incendie a fini par donner lieu à des procédures judiciaires.

Ce sont d’abord les pompiers qui ont engagé des poursuites pour forcer la filiale locale d’Engie à régler la facture de l’extinction de l’incendie, estimée à 18 millions de dollars australiens (11,5 millions d’euros). L’entreprise avait refusé de payer, sous prétexte qu’elle paie déjà une taxe spécifiquement destinée à financer les services des pompiers. Puis ce fut au tour de l’agence de l’État de Victoria en charge de la santé et sécurité au travail d’initier une procédure contre Engie pour violation de ses obligations réglementaires. Enfin, en mars dernier, l’Agence de l’environnement de l’État s’est résolue à initier des poursuites contre Engie, pour pollution de l’air. (...)

Peur que la centrale ne plie bagages

A l’occasion de la Conférence sur le climat de Paris, Engie et EDF ont annoncé qu’elles abandonnaient tout nouveau projet dans le secteur du charbon, principale source de gaz à effet de serre au niveau mondial, pour rediriger leurs investissements vers des sources d’énergies plus vertes. Une bonne nouvelle, sans doute. Mais la page du charbon est loin d’être définitivement tournée pour nos deux champions nationaux, qui possèdent encore plusieurs dizaines de centrales au charbon dans le monde, pour la plupart anciennes. Tout dépend également de la manière dont s’opère cette « sortie » du charbon. Et dans l’État de Victoria en Australie, cette question est loin d’être simple.

Autrefois florissante, la ville de Morwell a vu sa situation économique et sociale se dégrader progressivement depuis la privatisation de la mine Hazelwood, dans les années 1990. Si les habitants s’inquiètent de plus en plus des conséquences de la mine et de la centrale pour leur santé, cette préoccupation le dispute à une autre peur, plus immédiate : celle que les dirigeants d’Engie, à des dizaines de milliers de kilomètres, ne décident soudain de tout arrêter et de partir, ne laissant derrière eux que des sommes dérisoires pour la réhabilitation du site et la reconversion des employés.

Ayant déjà souffert de la gestion purement financière des propriétaires successifs de Hazelwood, les travailleurs et les riverains craignent aujourd’hui les conséquences d’une nouvelle décision financière, de désinvestissement cette fois, parée des habits de la « transition énergétique ». Une histoire terrible et typique à la fois, comme il en existe des centaines dans le monde, partout où des communautés se sont soudées et ont prospéré autour de mines ou de centrales électriques. Elles sont aujourd’hui confrontées à la perspective de voir s’évanouir définitivement ce qui avait fait leur richesse et leur identité. (...)

Pour Engie, revendre plutôt que fermer

Depuis de nombreuses années, les écologistes cherchent à obtenir, à coup de manifestations et d’actions de blocage, la fermeture de Hazelwood. Selon eux, l’offre d’électricité dans l’État de Victoria serait déjà excédentaire de 2 000 MW, plus que la capacité de la centrale. À l’occasion de la COP21, ils ont adressé une lettre solennelle à François Hollande pour lui demander de faire pression sur Engie, propriété de l’État français à 33%, afin d’obtenir cette fermeture. En vain. L’industrie du charbon reste puissante en Australie. La préservation de l’emploi, dans une région économiquement sinistrée, est presque une question de vie et de mort. Et les entreprises comme Engie et EDF ne cherchent en aucun cas à fermer leurs centrales à charbon. L’objectif est plutôt de les revendre.

Mais le bénéfice pour le climat de telles opérations est nul : « L’impact de ces ventes pourrait même être négatif : afin d’obtenir des retours sur investissement suffisants, dans un contexte mondial de déclin du marché du charbon, les acquéreurs seraient poussés à maintenir les centrales en activité, peut-être plus longtemps encore que ne l’auraient fait les opérateurs français », dénoncent les Amis de la terre, le Réseau action climat et Oxfam France dans une note récente. Les repreneurs risquent également de se montrer moins scrupuleux du point de vue social.

De fait, le recentrage stratégique affiché aujourd’hui par Engie est au moins autant dû à des raisons financières qu’à des considérations environnementales. Il signe surtout l’échec des acquisitions tous azimuts du groupe, presque exclusivement dans le secteur des énergies fossiles, suite à la fusion entre GDF et Suez (...)

Une communauté déstabilisée par la privatisation

Si les écologistes de l’État de Victoria et au-delà ont fait de Hazelwood une cible prioritaire, la plupart des habitants de la vallée de Latrobe ne voient pas ces ingérences d’un très bon œil. Ils sont nombreux à évoquer l’époque où la mine et la centrale appartenaient encore à l’entreprise publique d’électricité du Victoria, aujourd’hui démantelée, comme d’un âge d’or. (...)

La privatisation de Hazelwood intervient en 1996. La situation commence alors à se dégrader, sans briser tout à fait l’enchantement. Le nombre d’emplois est drastiquement réduit par paliers successifs, mais ceux qui restent sont encore très bien payés. De nouveaux filtres sont installés, mais pas autant qu’il aurait été nécessaire pour atténuer l’impact environnemental de la centrale. Dans le même temps, la licence d’exploitation de la mine et de la centrale est prolongée de plusieurs décennies. (...)

Les propriétaires successifs de Hazelwood ont cessé de redistribuer la richesse. L’hôpital et l’école sont délaissés, le taux de pauvreté augemente progressivement, tout comme le taux de délinquance. La ville de Morwell se retrouve divisée entre les habitants anciens, qui se souviennent des jours prospères et craignent le chaos social qu’entraînerait une fermeture abrupte de Hazelwood, et les nouveaux arrivants, surtout attirés par les logements bon marché. Jusqu’à ce fameux incendie de 2014, qui a complétement changé la perception des habitants.
« L’heure de prendre son destin en main »

Dans le Victoria, les opérateurs miniers doivent souscrire une obligation financière pour couvrir les frais de réhabilitation du site. Dans le cas de Hazelwood, cette obligation, fixée dans les années 1990, s’élève à 15 millions de dollars australiens. Or, selon les chiffres mêmes d’Engie, les frais réels de réhabilitation de la mine s’élèveraient à au moins 80 millions de dollars. Peut-être même jusqu’à 350 millions de dollars, à en croire certains experts. Cette disproportion contribue d’ailleurs à alimenter les craintes : il pourrait se révéler nettement moins cher pour Engie de quitter les lieux du jour au lendemain, en abandonnant les 15 millions, plutôt que de devoir couvrir les frais effectifs de la réhabilitation.

Le nouveau gouvernement de l’État de Victoria a récemment annoncé son intention d’augmenter significativement le montant mis en réserve par les opérateurs actifs dans la vallée de Latrobe pour la réhabilitation de leurs mines – avec pour effet de porter l’obligation d’Engie de 15 à presque 75 millions de dollars australiens. Reste à voir si les entreprises concernées accepteront de mettre la main à la poche.

Depuis l’incendie, les habitants de Morwell, jusqu’alors farouchement opposés à la fermeture de la mine et de la centrale, commencent à comprendre que celle-ci est inéluctable. (...)