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En Allemagne, un camp climat pensé selon les principes féministes queers
Article mis en ligne le 6 janvier 2020
dernière modification le 5 janvier 2020

En septembre 2019, plus de 600 activistes ont participé au camp climat Free the soil, à Brunsbüttel (Allemagne) pour bloquer l’usine du géant norvégien des engrais azotés de synthèse Yara. Originalité de ce camp et de cette action de désobéissance civile : leur organ

Le féminisme queer s’oppose de manière radicale à toutes les formes de patriarcat, en incluant les personnes de tous les genres. Il se veut actif et inclusif, et s’avère être un cadre fantastique pour organiser un camp d’action. En effet, bien des personnes restent souvent en marge des mouvements militants ou de l’action directe, car elles ne se sentent pas représentées dans les prises de décision, ou tout simplement ni bienvenues ni à l’aise.

« Dans notre lutte pour la justice climatique, alimentaire et agraire, et contre le système capitaliste, nous voulons façonner nos actions et nos communautés à l’image du futur pour lequel nous nous battons », déclare le manifeste du camp Free the soil. Retroussons-nous les manches !

Durant la COP23 à Bonn, en 2017, des tracts Free the soil ultracolorés ont fait leur apparition au Sommet des peuples pour le climat, un événement alternatif tenu en parallèle des rencontres officielles. Ils annonçaient une action de désobéissance civile de masse contre l’agriculture industrielle en 2019.

Le collectif danois à l’origine de l’initiative est composé d’activistes expérimenté·es dans le domaine de la justice climatique, de l’agriculture et des solidarités Nord-Sud. Ses membres sont majoritairement des femmes et des personnes de genre non binaire . Au cours de diverses rencontres en Europe et à force de réseautage, elles ont rassemblé assez d’organisations et d’individus pour former les nombreux groupes de travail nécessaires à l’organisation du camp et de l’action. (...)

Deux groupes rassemblant 500 activistes ont bloqué pendant 26 heures les entrées principales de l’usine Yara, le numéro 1 mondial des engrais azotés de synthèse (près de cent personnes sont restées au camp — cuisine, équipe juridique, presse, personnes qui ne voulaient pas faire partie de l’action — ou dans les environs — soutien logistique).

Dans le camp, que ce soit autour de la cuisine autogérée, dans les ateliers, derrière le micro en assemblée plénière ou dans les groupes de travail (logistique, facilitation, presse…), on remarquait une grande ouverture : toute personne était invitée à participer, à animer une activité, à partager son avis. Pour cela, divers outils ont été utilisés dès le début de l’initiative. En effet, l’inclusivité ne se décrète pas ; elle se prépare et se vit dès le début d’un projet. (...)

Au camp, au lieu d’adopter l’anglais comme langue de communication par défaut, Free the soil a encouragé les participant·es à s’exprimer dans leur langue autant que possible. Le collectif Bla est venu avec son équipement de traduction simultanée, et des volontaires ont interprété les interventions en français, allemand, anglais et même danois. Cette attention constante devient vite naturelle : même autour du feu de camp, on peut organiser des traductions chuchotées, et ainsi inclure tout le monde dans les échanges. (...)

À Free the soil, on a pu remarquer une grande liberté dans l’expression des identités : chacun·e est libre d’être soi-même, bien au-delà des rôles genrés traditionnels. Les qualités dites « féminines » ou « masculines » sont partagées par des personnes de tous genres. De plus, on évite de glorifier la prise de risque ou la force physique au détriment de la solidarité ou de l’écoute. La culture du remerciement et de la valorisation de toute participation est très vite contagieuse : à force d’être remercié·e pour une tâche effectuée, quelle qu’elle soit, on finit par remercier à son tour les autres. Cela permet de rendre visible la participation consciente et bénévole, et d’encourager la bienveillance mutuelle.

Dans le camp et dans l’action, la fin ne justifie pas des moyens qui laissent des personnes de côté, surtout quand on peut faire mieux et autrement. Le but de l’action, bloquer Yara, est tout aussi important que la manière dont on l’atteint, en prenant soin les un·es des autres. Si dans un groupe on se met soudainement à courir, est-ce que tout le monde peut suivre ? Si quelques personnes décident seules de forcer un barrage de police, que feront les autres ? Quels mots utilise-t-on ou non dans nos chants ? Soyons lucides et cohérent·es : pour se battre ensemble contre un système injuste, il faut s’élever contre les slogans homophobes, et questionner les prises de risques individuelles qui affecteraient le groupe tout entier.

C’est en réfléchissant collectivement aux moyens d’action et à leurs conséquences que Free the soil permet encore une fois d’assurer la participation du plus grand nombre. Cela dit, en parallèle de l’action de masse, des petits groupes affinitaires pouvaient tout à fait organiser des actions différentes et peut-être plus risquées. L’équipe juridique du camp s’est dite déterminée à soutenir tout le monde ! Que ce soit en cuisine, sur un tripode ou au téléphone avec les médias, l’important était de se sentir capable de participer à son niveau. (...)

Au vu du nombre de personnes présentes, de l’atmosphère dans le camp, et de la couverture médiatique de l’action en Allemagne, Free the soil a été un franc succès. Des mouvements très variés sont venus de toute l’Europe du Nord : (...)

de nombreuses personnes sur place sont impressionnées par la qualité des ateliers et discussions et par l’organisation collective sans faille.

Il est rare, dans un camp et dans une action de cette ampleur, de voir autant de sourires et de constater que même les gens les plus impliqués prennent le temps de se reposer. Free the soil nous prouve que l’épuisement, les conflits, les discussions sans fin et les frustrations ne sont pas intrinsèques à l’activisme. Bien sûr, il reste bien des points à améliorer… Mais la perspective féministe queer de Free the soil nous apporte une bouffée d’air frais et nous fournit un modèle à suivre pour avancer dans nos mouvements, ensemble.