
Comme pour n’importe quel crime, les émotions sont là, mais rien ne peut faire revenir la victime. Pour autant, la question qui désormais se pose après chacun de ces drames est l’aspect rétroactif de l’événement et la mise en cause de tiers par le politique afin de trouver une chaîne de responsabilités qui expliqueraient pourquoi le criminel a pu perpétrer son crime. La démonstration qui suit invariablement depuis quelques années est toujours, que sans cette chaîne défaillante, le crime ne serait pas survenu. Enfin, ce crime-ci.
Ce criminel était un monstre que la société n’a pas osé, voulu mettre de côté, des incompétents et le système pas assez répressif ayant accompagné la défaillance, tel est le message qui circule alors. (...)
Il est donc désormais indispensable, pour les responsables politiques, de venir expliquer que chacun de ces drames impliquant une personne ayant déjà eu affaire à la justice, aurait pu être « empêché ». Chaque fait divers sanglant de ce type est l’objet du même discours politique, celui de la prédiction, et plus exactement de la défaillance de la prédiction du crime. Le politique, plus déterminé que jamais, promet alors d’empêcher que d’autres défaillances prédictives surviennent et, ce par de nouveaux appareils législatifs qui permettront de restreindre le champ des crimes possibles. Cette approche se généralise à un moment précis, un moment où le politique est totalement démuni dans ses capacités à prédire l’évolution de la société, alors qu’une crise financière et économique majeure s’est abattue sur la planète. Crise que le politique ne contrôle pas, et dont il ne peut prédire la suite… (...)
Cet aspect de reprise en main du politique par le biais du sécuritaire est basée sur la prédiction du crime, c’est-à-dire la volonté de démontrer qu’un individu ayant commis un acte grave réitèrera. Mais ce choix politique mène à des modèles de société qu’il est nécessaire de bien envisager. Parce que si des faits divers viennent démontrer que la prédiction du risque n’est le plus souvent pas « juste », ou bien que les dispositions de remise en liberté sont dues à des défaillances puisqu’elles laissent des crimes « évitables » se perpétrer, alors les solutions pour éviter ces crimes semblent toutes tracées et déjà imaginées. (...)
La société de Minority Report est une société où les criminels sont arrêtés avant d’avoir commis leur crime grâce à des ordinateurs établissant pour toute la population des statistiques permettant de déterminer leurs actions criminelles potentielles futures. Société policière, totalitaire, de surveillance et de prédiction complète. Une société sans crimes perpétrés (mais pas sans criminels) puisque le criminel est arrêté avant même d’avoir agi, voire d’avoir pensé le crime. Une autre société, mais qui, elle, a réussi à abolir le crime, est celle du film Equilibrium. Ainsi, en 2075, les citoyens doivent prendre une drogue quotidienne (sous peine d’exécution) qui abolit tous les sentiments, déclarés source de tous les maux de l’humanité, donc source des crimes et de la violence. Les citoyens d’Equilibrium ne ressentent ni haine, ni amour, ni dépit ou emballement. Le film établit bien le rapport entre risque et liberté : une société sans risques est une société qui abandonne toutes les libertés individuelles. Une société sans risques est une société sans sentiments, donc inhumaine.
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Le consensus créé par les politiques autour des crimes de récidivistes est dangereux. (...)
Mais qui a dit que le crime était une action humaine qui ne devrait pas survenir ? Après des décennies de violences télévisuelles quotidiennes, de guerres à répétitions mises en scène sur les écrans, d’œuvres mettant en scènes des criminels de tous poils qui ravissent le public ? Combien de jeunes gens ayant commis des viols, comme celui de la Haute-Loire, ont été suivis par des éducateurs, des psychiatres, se sont réinsérés et n’ont plus commis d’actes violents ? Combien pour un qui réitère et tue une innocente ? (...)
Alexis de Toqueville, en plein milieu du XIXème siècle disait la chose suivante, qui devrait nous interpeller aujourd’hui après avoir entendu les réactions et proposition politiques qui ont surgi instantanément après le drame de Chambon-sur-Lignon : "Quand toutes les opinions sont égales et que c’est celle du plus grand nombre qui prévaut, c’est la liberté de l’esprit qui est menacée avec toutes les conséquences qu’on peut imaginer pour ce qui est de l’exercice effectif des droits politiques. La puissance de la majorité et l’absence de recul critique des individus ouvrent la voie au danger majeur qui guette les sociétés démocratiques : le despotisme."