
Des parfums sans odeur, des plats sans goût, des plantes artificielles, des mains scotchées au téléphone... L’Homo sapiens est devenu Homo confort, écrit l’anthropologue Stefano Boni dans un nouveau livre. Et voilà comment s’en débarrasser.
Une colonisation intérieure par l’artificiel, qui, pour le marché, est payante (...)
Mais qui est désastreuse pour l’écologie, parce qu’elle finit par provoquer de l’écophobie : « Aujourd’hui certaines personnes craignent davantage la boue et l’herbe que le smog [brouillard âcre provoqué par les fumées industrielles], c’est quand même problématique ! » soulignait-il. (...)
Désastreuse aussi pour Homo confort, qui s’appauvrit spirituellement. Un exemple : lorsqu’il achète de la viande de lapin tranchée sous cellophane, débarrassée, donc, de tout viscère et autre signe de vie particulier (poils, pupilles), il s’épargne certes la confrontation avec la mort, mais devient un « nihiliste passif », complice inavoué de la violence industrielle, en l’occurrence celle exercée contre les animaux, inégalée dans l’Histoire selon Stefano Boni.
Moins de technologies, pour mieux vivre
La nature s’est donc éloignée comme réalité vécue, mais aussi symbolique. Présentée en permanence comme la solution, individuelle, à toutes les adversités de la vie, la technologie l’a évincée dans les représentations les plus intimes d’Homo confort. (...)
Car ce brave petit soldat féru d’hédonisme tranquille n’a pas seulement perdu les liens subtils qui le reliaient à la nature, il a aussi perdu une grande part de ses capacités de création et d’autonomie. (...)
« C’est tout ce monde d’interrelations, de savoir-faire, que le capitalisme a détruit » (...)
En marginalisant artisans et paysans pour imposer son ordre industriel, sans hésiter à recourir à la violence, c’est tout ce monde d’interrelations, de savoir-faire et de fêtes communautaires que le capitalisme a détruit. Aujourd’hui, les objets que nous manipulons sont confortables, mais dépourvus de tout arrière-plan sensible. Nos vies aspirées par le confort manquent de perspectives et de liens porteurs de sens.
Proche de la position éthique d’Aurélien Berlan, Stefano Boni, professeur d’université qui vit à la campagne, s’occupe d’abeilles, d’un petit poulailler et d’un potager, croit davantage aux pas de côté qu’à une possible réforme du capitalisme [2]. Il a donc choisi de terminer son livre par une série de pistes à explorer — relations à la technologie, à l’argent, à l’alimentation, à la communauté —, pour encourager Homo confort à expérimenter par lui-même des manières de vivre plus équilibrées. Car il lui faut « se préparer à accepter l’idée d’une baisse de son niveau de confort. […] Cela ne marquera pas la fin du bien-être, mais peut-être son véritable commencement, conclut-il. Vivre avec moins de technologie équivaut, en somme, à mieux vivre. Et nous pouvons y arriver ».