
Si Éric Zemmour a réhabilité le régime vichyste pendant la présidentielle de 2022, Vox, le parti d’extrême droite espagnol, revisite lui aussi en permanence l’histoire nationale, de la Reconquête au franquisme. Décryptage avec deux historiens, Sophie Baby et Nicolas Sesma.
Impossible de comprendre la progression de Vox, le parti d’extrême droite dirigé par Santiago Abascal, qui espère, à l’issue des élections générales du 23 juillet, diriger l’Espagne en coalition avec le Parti populaire (PP), sans s’intéresser aux batailles culturelles qu’il mène depuis sa création en 2014. Parmi celles-ci : une réécriture en profondeur de l’histoire espagnole, du Moyen Âge jusqu’à la transition post-franquiste (1975-1982).
Mediapart a convié deux universitaires pour en discuter, Sophie Baby, maîtresse de conférences HDR (habilitation à diriger des recherches) en histoire contemporaine à l’université de Bourgogne, et Nicolas Sesma, maître de conférences en histoire à l’université Grenoble-Alpes, deux spécialistes de la dictature franquiste et des mémoires du franquisme dans l’Espagne contemporaine.
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Pour indication, quelques temps du débat :
À partir de la deuxième minute : « L’Espagne ou Sánchez ». D’où vient ce slogan de la droite espagnole dirigé contre le président du gouvernement sortant Pedro Sánchez ?
« C’est un pas en arrière par rapport à la transition. En démocratie, il n’y avait plus d’ennemis, mais uniquement des adversaires qui étaient considérés tous aussi légitimes pour occuper le pouvoir. Le retour sur cette rhétorique est inquiétant. » (Nicolas Sesma)
5 min 30 s : Pourquoi Vox s’empare-t-il de l’histoire ?
« La réécriture de l’histoire est l’une des facettes de la bataille culturelle que mène l’extrême droite en Espagne, mais aussi en Europe et dans le monde, comme une réminiscence d’un choc des civilisations. Ces droites défendent des “romans nationaux” qui changent en fonction des pays, mais qui ont des points communs : [cette culture] serait mise en danger par la globalisation, l’islamisation des sociétés européennes, le séparatisme catalan en Espagne… » (Sophie Baby)
« Les élections ne vont pas se jouer sur le bilan. On va voter par rapport aux émotions. Et parmi les émotions, il y a la définition de l’identité, de l’identité nationale, des identités individuelles. » (Nicolas Sesma)
11 min : « Être fier de son passé » ? Quand Vox prône la « concorde » vis-à-vis du passé...
« C’est très habile de la part de Vox de reprendre les concepts qui ont fondé la démocratie espagnole [...] En disant cela, Vox et le PP se réapproprient l’esprit de la coalition. » (Sophie Baby)
20 min : Quels points communs avec la réhabilitation du régime vichyste par Éric Zemmour en 2022 ? (...)
24 min : Un intérêt pour l’histoire longue, celle de la Reconquête et de la conquête des Amériques, davantage que pour le franquisme. (...)
« Ce qui est très intéressant, par rapport au traitement de l’histoire par rapport à Vox, c’est qu’ils ne sont pas ancrés dans la nostalgie, ils actualisent le présent à travers l’histoire. Que leur permet l’évocation de la conquête de l’Amérique ? […] Cela leur permet de dire, quand ils sont accusés d’être anti-migrants : “Faux, les migrants latino-américains sont nos frères.” […] Par contre, ce qui n’appartient pas à la nation, c’est la migration musulmane, qui vient du Maroc. » (Nicolas Sesma)
27 min : Pourquoi cette stratégie de Vox a-t-elle si bien fonctionné ?
« La droite en Espagne n’est pas complexée, il n’y a pas à la décomplexer [...] Le PP n’a jamais rompu ouvertement avec le franquisme. En ce sens, la droite navigue beaucoup plus facilement. » (Sophie Baby)
33 min : Pour finir, quelques pronostics sur l’issue des législatives dimanche... (...)