
Emprisonnés et condamnés à de lourdes peines de prison pour avoir manifesté, des leaders de la révolution tels que Alaa Abdel Fattah sont désormais en grève de la faim. Dans sa dernière lettre, l’activiste explique sa démarche, un ultime recours suivi par d’autres jeunes leaders et avant eux par des dizaines de prisonniers détenus sans procès.
"À 16 heures aujourd’hui, j’ai célébré avec mes collègues mon dernier repas en prison. J’ai décidé — quand j’ai vu mon père lutter contre la mort1, enfermé dans un corps qui n’était plus soumis à sa volonté — de commencer une grève de la faim jusqu’à ce que je recouvre ma liberté. Le bien-être de mon corps n’a aucune valeur tant qu’il reste soumis à un pouvoir injuste, dans un emprisonnement à durée indéterminée non contrôlé par la loi ni par aucune notion de justice.
J’avais eu déjà cette idée, mais je l’avais écartée. Je ne voulais pas faire peser un fardeau supplémentaire sur ma famille, car nous savons tous que le ministère de l’intérieur ne rend pas la vie facile aux grévistes de la faim. Mais je me suis rendu compte que les difficultés que connaît ma famille augmentent à chacun de mes jours passés en prison. (...)
J’avais eu déjà cette idée, mais je l’avais écartée. Je ne voulais pas faire peser un fardeau supplémentaire sur ma famille, car nous savons tous que le ministère de l’intérieur ne rend pas la vie facile aux grévistes de la faim. Mais je me suis rendu compte que les difficultés que connaît ma famille augmentent à chacun de mes jours passés en prison. Ma plus jeune sœur, Sanaa, et les manifestants de Ettahidiya ont été arrêtés, simplement parce qu’ils réclamaient la liberté pour les personnes déjà détenues. Ils ont mis ma sœur en prison parce qu’elle a exigé ma liberté ! Les efforts de notre famille pour nous libérer ont dû porter à la fois sur deux prisonniers, et le cœur de mon père s’est usé entre deux tribunaux. Mon père, qui avait reporté une chirurgie nécessaire plus d’une fois à cause de cette malheureuse affaire du conseil de la Choura2.
Ils m’ont arraché à mon fils, Khaled, alors qu’il avait encore du mal à se remettre du traumatisme de ma première incarcération. Puis il y a eu l’attitude brutale du ministère de l’intérieur quand il a fait ce geste « humain » de m’autoriser à rendre visite à mon père dans l’unité de soins intensifs. La police a essayé de vider la salle où il était installé à l’hôpital, d’écarter les patients, les médecins, la famille et les infirmières avant d’autoriser cette visite. (...)
Toute cette expérience a servi à me convaincre que la patience n’aiderait pas ma mère, Laila, ma sœur, Mona, ou ma femme, Manal. Que l’attente n’allège pas ma famille des épreuves qu’elle traverse, la rendant au contraire prisonnière comme moi, soumise aux impératifs et aux humeurs d’une organisation dépourvue d’humanité et incapable de compassion.
J’ai déjà affronté les tribunaux et les prisons auparavant. Je l’ai accepté et j’en étais même fier. Je pensais que c’était le prix à payer pour mes prises de position dissidentes et une chance de se battre pour les principes et des garanties de procès équitables. Chaque audience ou procès a été l’occasion d’exercer une pression contre la justice d’exception et la possibilité de soutenir certains juges que l’on croyait intègres. Nous pensions qu’ils étaient nombreux et avaient besoin de notre soutien. Chaque jour en prison avait été l’occasion de rappeler à la société que de nombreuses personnes étaient injustement emprisonnées, de faire pression sur les médias et les groupes politiques pour qu’ils travaillent à mettre fin à l’érosion quotidienne de nos droits.
Mais quand enfin je me suis tenu face à mon juge civil, j’ai trouvé moins de justice que dans les pires tribunaux d’exception. (...)
Depuis que le sanglant conflit a débuté entre l’État et les islamistes, j’ai plus d’une fois affirmé qu’il était impératif que nous n’y prenions pas part. Lorsque le pouvoir traditionnellement garant de la stabilité impose une polarisation et s’engage dans un conflit dont la seule issue est la soumission totale ou l’annihilation de l’un ou de l’autre, le rôle de ceux dont le cœur est avec la révolution est d’essayer de jouer un rôle modérateur et d’arrêter le conflit. (...)
Je vous demande de continuer ce que je ne suis plus capable de faire : vous battre, rêver, espérer.
J’ai dit à plusieurs reprises que nous devions nous opposer aux violations des droits et aux crimes commis des deux côtés et prendre le parti des victimes, quelle que soit leur identité. J’ai également dit que nous devions rester totalement hors du conflit en ne soutenant pas d’autres revendications que le droit à la vie, à l’intégrité corporelle et les libertés individuelles, car aujourd’hui, c’est le fondement même de la vie qui est menacé.
Je ne me bats pas seul pour sauver les fondements de la vie. Mes camarades sont nombreux, même si leurs voix sont faibles face à l’énorme vacarme de la bataille qui fait rage. Mais mes camarades les plus proches dans la lutte pour le droit à la vie, à l’intégrité corporelle et les libertés individuelles ont toujours été ma famille. (...)