
(...) A mesure que les manifestants de la place Tahrir gagnent du terrain, la peur recule. Partout, les langues se délient, y compris au sein des médias gouvernementaux, relais inconditionnels de la voix du régime.
(...) Ça a commencé par quelques actes de résistance sporadiques, comme Ahmed, journaliste depuis quatorze ans à la Mena, l’agence de presse officielle égyptienne. Dès le 25 janvier, premier jour du soulèvement, il a tout simplement arrêté de travailler pour des chefs qui le censuraient.(...)
Depuis, plusieurs dizaines de journalistes de médias gouvernementaux ont démissionné. Au Caire, ils sont de plus en plus nombreux à arpenter la place Tahrir.
C’est le cas d’Asmae, présentatrice sur une chaîne d’Etat depuis cinq ans. Elle s’y est rendue pour la première fois samedi dernier, dix jours après les premières manifestations, et a pu constater le décalage « schizophrène » entre le traitement médiatique de la mobilisation et la réalité(...)
Du coup, les directeurs des médias gouvernementaux ont dû mettre de l’eau dans leur vin. Au sein de la chaîne d’Etat où travaille Asmae, la directive, désormais, est la suivante : « Dites ce que vous voulez, mais n’insultez pas le régime. »(...)
« Depuis vingt ans, j’écris des bêtises du matin au soir sur ordre de ma hiérarchie. Il a fallu attendre lundi dernier pour que le journal accepte que chacun d’entre nous rédige un article sur la révolution. »(...)
Les journalistes ne se contentent pas de dénoncer la propagande d’Etat. Comme plusieurs corps de métier, ils descendent désormais dans la rue pour exiger la fin de la corruption et de meilleures conditions de travail.(...)
Cette révolte des journalistes qui étaient, bien souvent malgré eux, les porte-voix du régime, est symptomatique d’un système qui s’effondre. Les verrous de la peur ont sauté. Les puissants vacillent sur leur trône et la fronde s’étend.
Plusieurs centaines de journalistes appellent désormais à la démission du président du syndicat Makram Mohamed Ahmed, jugé trop complaisant à l’égard du pouvoir, notamment après qu’un reporter d’Al-Ahram a perdu la vie dans une manifestation, tué par des balles de la police.(...)
« Les chefs se comportent comme des souris, ils ne savent pas quelles lignes de conduite adopter », assure Shereine, paisible parmi les manifestants, le sourire aux lèvres(...)