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Edition : les cercles vertueux de la grande distribution
La Trahison des éditeurs (Agone, 2011)
Article mis en ligne le 23 septembre 2011
dernière modification le 20 septembre 2011

Parce que l’édition est un média (presque) comme les autres, Thierry Discepolo, éditeur chez Agone, estime à juste titre qu’elle ne doit pas être absente de la critique des médias. Dans son livre La trahison des éditeurs, publié chez Agone (Marseille, 2011) – dont nous reproduisons ci-dessous un extrait concernant la grande distribution –, il s’interroge sur les responsabilités sociales et politiques de son métier. Plus qu’une critique du modèle économique de l’édition, cet ouvrage est un véritable plaidoyer en faveur des artisans – et non des commerçants – du livre.

"En quelques lignes, l’histoire de la grande distribution à la française, qui n’a pas beaucoup plus d’un demi-siècle d’existence, peut se résumer à la transformation d’un cercle supposé vertueux (des remises, consenties par les producteurs sur l’achat en grandes quantités, répercutées aux clients) en un engrenage destructeur dont les producteurs et les consommateurs ne sont pas près de sortir. Après une ère de fusions et concentrations sans équivalent, cinq centrales d’achat, qui se partagent 90 % du marché alimentaire français, imposent désormais aux producteurs, sous le nom de « marges arrière », une taxation arbitraire, qui dépasse souvent aujourd’hui 50 % du prix du produit mis en vente. Les énormes bénéfices ainsi obtenus ne sont évidemment pas répercutés auprès du consommateur (s’ils l’ont jamais été) mais des actionnaires. La perpétuation de ce système s’explique en partie parce qu’il dégage d’énormes moyens de corruption bénéficiant aux pouvoirs politiques : le « droit » d’installer un hypermarché se payerait désormais en millions d’euros [2].

Parmi les quelques dommages bien connus de ce système bien installé, signalons la disparition du commerce de proximité, l’écrasement de l’agriculture à taille humaine, les délocalisations industrielles et importations massives, avec les bienfaits écologiques et avantages sociaux afférents. On peut donc concevoir qu’en France, où la grande distribution bat tous les records de densité en Europe, « si le marché [du livre] se développe, c’est essentiellement dans les grandes surfaces ». Et que, rien ne devant entraver la « liberté d’accès au marché », il faut y être. Quels qu’en soient les effets déjà répertoriés ? Auxquels le livre participe comme produit d’appel parmi les autres consommables culturels. (...)

Ces questions se posent donc aux éditeurs. Du moins aux indépendants. Et encore seulement à quelques-uns d’entre eux. La plupart n’ont pas le choix.
(...)

les livres destinés à être majoritairement vendus dans les supermarchés ont été, sauf erreur de parcours, édités pour y être majoritairement vendus (...)

Pour « affiner l’offre libraire », des créatifs à gages ont inventé les « Centres culturels » (Leclerc) et les « Cultura » (Auchan), qui ressemblent, au premier coup d’œil, plus à des librairies que de bêtes rayons de supermarché. Une partie de la production éditoriale y est en effet présente, ce qui augmente la « diversité » et améliore la fonction de produit d’appel fixée aux livres. Avec les effets prévisibles sur ceux qui n’ont pas été conçus pour ce destin : entre 90 et 100 % de retour pour des ventes annuelles de l’ordre de quelques centaines d’euros, au mieux, sur l’ensemble de ces enseignes [4] (...)

Aujourd’hui, les vertueux qui défendent la vente de livres dans les supermarchés invoquent l’urgence et les bénéfices (politiques, bien sûr) de l’accès aux classes populaires ; les mieux intentionnés parlent même d’« éducation populaire ». Ce qui en dit long sur la vision (misérabiliste) du monde social que se font ces bienveillant-e-s.

(...) Wikio