
Pour la Sécurité sociale, les « temps exceptionnels » sont révolus. Le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale devrait comprendre au moins 1,3 milliard d’euros d’économies. Pour faire passer la pilule, amère, le gouvernement égrène les annonces.
« Nous sortons de temps exceptionnels, nous devons revenir à la normale en matière de dépenses publiques », a annoncé le ministre de l’économie Bruno Le Maire, lors des Assises des finances publiques, le 19 juin dernier. Signe que Bercy prend désormais la main : le ministre a déroulé un programme d’économies, y compris pour la Sécurité sociale, en l’absence du ministre de la santé. C’est le « retour à l’anormal », annoncé par les défenseurs de l’hôpital public depuis la fin de la crise du Covid. (...)
La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 annonçait d’ores et déjà la couleur : l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam) ne doit progresser que de 2,3 % en 2024, c’est-à-dire trop peu pour faire face à la hausse naturelle des dépenses portées par le vieillissement de la population et un progrès technique de plus en plus coûteux.
Le rapport charges et produits de l’assurance-maladie, à paraître, que Mediapart s’est procuré, servira comme chaque année de document de travail en vue de l’élaboration du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024. Il détaille un plan d’économies de 1,3 milliard d’euros qui comprend des mesures de lutte contre la fraude, de meilleure prise en charge de certaines maladies et d’économies sur les prescriptions de médicaments et d’arrêts de travail. Pour tenter de les faire passer douceur, le gouvernement égrène les annonces les plus difficiles de manière dispersée.
Un recul historique de l’assurance-maladie sur les soins dentaires (...)
Le ministère de la santé l’a annoncé dans un communiqué, en forme de cascade de cinéma : tout en s’engageant pour une « action forte » pour la « prévention bucco-dentaire », il a glissé que la part du remboursement des soins dentaires par les complémentaires santé – ou à la charge du ou de la patiente si elle n’est pas assurée – allait augmenter de 30 à 40 %. Cela représente une économie de 500 millions d’euros pour l’assurance-maladie.
Les complémentaires santé ont immédiatement prévenu : cette décision « pèsera sur le niveau des cotisations de leurs assurés », pour qu’ils puissent faire face à ces dépenses nouvelles. (...)
Or les cotisations augmentent déjà très vite : de + 4,7 % pour les mutuelles en 2022. (...)
C’est la première fois qu’un gouvernement assume ainsi un recul net de l’assurance-maladie. « Et nous craignons que ce ne soit que le début. C’est en tout cas ce que l’on nous dit, officieusement, à Bercy », précise Séverine Salgado.
Jusque-là, la participation des complémentaires santé restait stable : elles assurent, depuis une dizaine d’années, aux alentours de 13 % des dépenses de santé. L’assurance-maladie couvre de son côté près de 80 % des dépenses en 2021. La part restant à la charge des ménages est aux alentours de 7 %, en légère diminution. (...)
Ce recul de l’assurance-maladie intervient après une série de réformes qui ont accru le rôle des complémentaires santé. En 2013, elles ont été rendues obligatoires pour les salarié·es. (...)
Tout est en place pour faire passer, de manière indolore, mais seulement en apparence, le rôle croissant des complémentaires santé dans la prise en charge des soins.
Seulement, il y a une différence de taille entre l’assurance-maladie et les assurances privées et mutualistes. La première est un pilier de la solidarité nationale (...)
Les complémentaires santé modulent au contraire leurs cotisations en fonction de l’âge des assuré·es, c’est-à-dire leur risque. Les personnes âgées paient donc beaucoup plus cher. (...)
Elles évoluent également dans un secteur fortement concurrentiel et bien moins performant : seules 80 % des cotisations sont reversées aux assuré·es, les 20 % restants étant dilapidés en frais de gestion. Le fonctionnement de ces complémentaires santé coûte aujourd’hui beaucoup plus cher aux Français et Françaises (7,6 milliards d’euros) que l’ensemble de la Sécurité sociale (6,9 milliards d’euros). (...)
Des contrôles et des sanctions pour faire baisser les indemnités journalières (...)
En 2023, l’assurance-maladie prévoit de contrôler mille médecins généralistes. (...)
Agnès Giannotti, présidente du syndicat de médecins généralistes MG France, détaille le fonctionnement de ces contrôles, « très mal vécus » par les médecins, explique-t-elle : « Ces médecins sont mis sous objectifs : ils ont six mois pour baisser le nombre de leurs arrêts, sur des critères uniquement économiques, et non médicaux. S’ils n’atteignent pas leurs objectifs, ils risquent une amende, jusqu’à 9 000 euros. » (...)
La docteure Giannotti rappelle qu’ « il y a des raisons à la hausse des arrêts. La souffrance psychique, surtout au travail, a beaucoup augmenté. Avec le Covid, on assiste à des dérives dans le management en entreprise. Les gens viennent souvent nous voir quand ils n’en peuvent plus. On voit aussi exploser les troubles musculo-squelettiques, par exemple chez les professionnels de santé, donc surtout chez les femmes. Et les gens travaillent plus longtemps. Tout cela multiplie les arrêts longs, qui coûtent le plus cher. Avec le report de l’âge de la retraite, les politiques devaient prévoir qu’il y aurait plus d’arrêts maladie. Il fallait anticiper ! »
L’analyse d’Agnès Giannotti est confortée par le rapport charges et produits de l’assurance-maladie. (...)
L’assurance-maladie n’est pas à une contradiction près : si elle assure vouloir multiplier les contrôles, elle engage en parallèle un nouveau plan de suppressions de 1 800 postes, après en avoir perdu 10 000 en dix ans. (...)
Médicaments : haro sur les prescripteurs, pas sur les labos (...)
Dans cette litanie des mesures d’économies, il en manque une, agitée très souvent : l’aide médicale d’État (AME). Seule bonne nouvelle, le ministre de l’économie exclut de nouvelles mesures d’économies sur la santé des étrangers et étrangères (...)