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Échos des universités dans la Russie de Poutine
#Russie #Poutine #universites
Article mis en ligne le 11 juin 2023
dernière modification le 9 juin 2023

Depuis l’agression de février 2022, la situation des étudiants et des universitaires n’a cessé de se dégrader en Russie. Voici des éléments recueillis à partir de témoignages et messages publiés ces dernières semaines sur des chaînes Telegram et des sites indépendants russes.

D’abord, du point de vue des libertés démocratiques – déjà bien atteintes avec le régime poutinien – la guerre (pardon, l’« opération militaire spéciale », si on dit le mot guerre on est susceptible d’être poursuivi et sanctionné) apporte son lot d’exclusions d’étudiants mais aussi d’enseignants. Selon une enquête menée par le site Grozamedia, qui en a publié une carte interactive pour 2022, https://www.groza.media/posts/karta l’activité répressive de l’État russe s’est concrétisée dans les universités par 48 étudiants (dont trois réintégrés) et 287 enseignants licenciés.

Dans les années 1990, le système de gestion des universités était assez démocratique, dans les années 2000, les universités ont versé dans l’autoritarisme et ont pratiquement perdu de leurs acquis en échangeant la liberté contre le financement de l’État. Et bien que des élections à la direction aient toujours lieu dans la moitié des universités d’État de Russie, bien des questions se posent quant au respect d’une compétition équitable lors de ces élections.

Répression et pressions

Plusieurs techniques ont été employées. (...)

du côté enseignant la purge a bien commencé et s’accélère tant dans les universités publiques que privées, notamment par le biais des non-renouvellements de contrats et de suppressions de certains programmes. La possibilité envisagée d’élargir à toutes les universités, y compris publiques, le recours à des contrats courts, renouvelables selon la volonté de l’administration, va renforcer les pouvoirs des autorités.

Les dénonciations patriotiques sont encouragées, et parfois suscitées et organisées par des groupes d’étudiants d’extrême droite. (...)

À Moscou, des enseignants de l’Université internationale ont été licenciés en raison de dénonciations. Les étudiants n’étaient pas autorisés à s’exprimer sur des sujets politiques, mais cela n’a pas empêché des discussions avec les enseignants. L’ancien journaliste de l’Écho de Moscou, Konstantin Mirochnikov et Vladimir Sukhoï, maître de conférences en théo- rie du journalisme ont été licenciés à la suite de la plainte d’un étudiant. (...)

Quant à la liberté théorique d’organisation des établissements, avec notamment la désignation des recteurs (équivalents de nos présidents d’université), les pressions sont immenses. Il y a eu des cas de démissions et les remplaçants peuvent avoir un profil plus militaire qu’académique. (...)

Ordre moral et idéologie

Dès 2022 le gouvernement de la Fédération de Russie a promu, en guise d’instruction civique, des « discussions (ou conférences) sur l’important » dans l’enseignement primaire et secondaire d’abord, cela a été étendu à l’enseignement supérieur. Il s’agit de promouvoir les valeurs traditionnelles, la famille, la patrie, l’armée, avec invitations d’anciens com- battants, de soldats en permission venant du front de l’Ukraine, avec levée du drapeau, etc. Des pro- grammes indicatifs ont été édités par le ministère compétent, et en réalité les établissements s’y conforment. Toutefois des éléments de résistance subsistent dans l’enseignement supérieur. (...)

L’Église orthodoxe n’est pas en reste. L’Université d’État de Riazan a célébré la fête orthodoxe de L’Épiphanie d’une manière particulière. L’archiprêtre Sergeï Rybakov est venu à l’université pour bénir la piscine et organiser un service de prière. Et après cela, les étudiants, les enseignants et le recteur Igor Murog lui-même ont participé à une nouvelle « tradition universitaire » – la natation de L’Épiphanie.

Après avoir annoncé la création de centres de coordination « pour contrer l’idéologie du terrorisme et prévenir l’extrémisme » dans chaque entité constitutive de la Fédération de Russie, la place de l’Université dans ce domaine a fait l’objet en ce début 2023 de travaux initiés par ministère de l’éducation et des sciences de la Fédération de Russie.

Des représentants des forces de l’ordre, du ministère de l’éducation et de 180 universités russes ont discuté pendant trois jours de la manière d’améliorer « les mesures d’information et de propagande » et la protection de « l’espace d’information du pays contre l’idéologie destructrice ». Ils ont également discuté des « meilleures pratiques dans le domaine de la formation d’une citoyenneté active chez les jeunes » et de la prévention de la propagation des « sous-cultures destructrices et de l’extrémisme ».

Le ministre russe des sciences et de l’enseignement supérieur, Valery Falkov, a déclaré que cela était « particulièrement pertinent » en raison de la « guerre hybride sans précédent déclarée à notre État ». (...)

L’Université approfondit son rôle militaire. (...)

Le Premier ministre russe Mikhaïl Michustin a ordonné la création de 16 centres de formation militaire dans les universités fédérales. Des centres militaires seront créés dans les universités d’État (...)

Cet ordre moral donnant une place centrale à la famille traditionnelle s’accompagne d’une campagne anti-LGBT. (...)

La réforme de l’enseignement supérieur (...)

Après avoir maîtrisé le cours, les étudiants doivent « posséder un sens développé de la citoyenneté et du patriotisme », ainsi que « sentir leur appartenance à la civilisation russe ».

Les nouveaux programmes en histoire et en géographie ont commencé à se concrétiser dans de nouveaux manuels. En géographie, les nouvelles cartes remplacent obligatoirement les anciennes, et il est obligatoire désormais d’enseigner les frontières de la Russie incluant les territoires occupés d’Ukraine. (...)

La nouvelle université semble à la fois être proche de l’ancienne université soviétique avec une vocation professionnelle faisant dépendre l’inscription en maîtrise des débouchés, mais dans un contexte de libéralisme économique avec une présence renforcée des entreprises qui dicteront leurs priorités, sans planification même bureaucratique. Il s’agit de l’« éducation ciblée » dans les universités dès 2023. Dans le cadre d’un tel programme, les candidats entrent dans un établissement d’enseignement en direction de futurs employeurs et étudient gratuitement. (...)

« Bons pour le service ! »

Poutine a besoin de soldats pour l’Ukraine, mais pas seulement. Il lui faut renforcer son armée. Or les étudiants bénéficient de sursis, et le sachant, beau- coup de jeunes s’inscrivent à l’université, le service étant obligatoire entre 18 et 27 ans. Un projet de réforme prévoit de reculer de trois ans cette limite, de 21 à 30 ans, ce qui tranquilliserait beaucoup d’étudiants. Ensuite, il a été précisé que pour l’instant, on conservera l’âge minimum à 18 ans mais que l’on applique immédiatement l’âge maximum à 30 ans. La chasse est ouverte. Dans des universités et col- lèges de Moscou, sous prétexte de « rencontres avec des représentants des commissariats militaires », on a notifié des assignations à comparaître au bureau de recrutement militaire. « Veuillez venir avec votre passeport et votre certificat d’immatriculation. » Ceux qui ignorent ces réunions sont menacés de « poursuites individuelles ». (...)

Quelles réactions ?

Il y a d’abord – avec la répression – les réactions individuelles qui consistent à sortir du pays, ce qui devient de plus en plus difficile, de même qu’éviter l’enregistrement. Il y a les actions de protestation contre la guerre, mais alors qu’en février-mars 2022 il y a eu des rassemblements, des manifestations, il semble que désormais, là aussi, ce soient des actions personnelles telles que faire des piquets en tenant des pancartes, déposer des fleurs à des endroits symboliques. La police intervient systématiquement, des poursuites sont engagées sous l’incrimination de « fausses nouvelles », ou « discrédit de l’armée » ; amendes, peines d’enfermement pleuvent. Ce sont les enseignants, avec une histoire déjà longue de syndicalisme indépendant, qui ont le plus affronté les autorités, et en ont subi les conséquences.

Au sein des établissements, on peut assister à des tentatives de regroupement. (...)

Au niveau du système et des contenus des ensengnements, certains expérimentent des voies pédagogiques reprenant le meilleur des acquis, délaissant les consignes officielles. (...)

Enfin, malgré les échecs, la « plate-forme universitaire » qui avait vu le jour fin 2022 et permis des contacts entre plusieurs villes, Saint-Pétersbourg, Kazan, Moscou, etc. vient d’être revivifiée début mai (https://t.me/uniplatform) avec la déclaration suivante :

Nous sommes un groupe d’étudiants et d’enseignants russes opposés à la prétendue « opération militaire spéciale ». Il est important pour nous de défendre nos droits et libertés universitaires. Nous déclarons mai le mois de la solidarité avec les enseignants qui ont été contraints de quitter les universités russes. (...)

Tout au long du mois, nous publierons les histoires d’enseignants. Notre campagne vise à attirer l’attention sur l’étendue de la répression dans les universités russes. C’est notre appel aux enseignants et aux étudiants à se rassembler autour de ceux qui restent encore. Ce n’est qu’ensemble que nous pouvons essayer de les défendre. (...)

Robi Morder est membre du Germe (Groupe d’études et de recherches sur les mouvements étudiants), des Brigades éditoriales de solidarité et du comité français du RESU.