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Entre les lignes, entre les mots
À la merci d’un courant violent : la Grèce après l’accord du 21 juin
Dimitris Alexakis Animateur d’un espace de création artistique à Kypseli, Athènes.
Article mis en ligne le 24 juillet 2018
dernière modification le 22 juillet 2018

Du Parlement allemand à l’Assemblée hellénique, les déclarations faites ces derniers jours par les dirigeants européens permettent de se faire une idée plus précise de la situation qui sera celle de la Grèce à compter du 20 août prochain1 et de proposer une lecture de l’accord conclu le 21 juin à rebours des déclarations célébrant « la fin de l’Odyssée » (Moscovici), la « renaissance » grecque (« Le Point »), la concorde européenne retrouvée.

L’accord de l’Eurogroupe prévoit un rééchelonnement sur 10 ans d’une part conséquente de la dette grecque2 (extension de la maturité des titres), un « coussin de sécurité » de 15 milliards d’euros faisant office de réserve de précaution et le reversement au compte-gouttes des bénéfices réalisés par la BCE sur ses titres de dette hellénique ; ces dispositions sont conditionnées par l’obligation faite aux autorités grecques de dégager au cours des années qui viennent un excédent primaire correspondant à 3,5% (puis à 2,2%) du PIB, objectif ne pouvant être poursuivi qu’au prix d’un prolongement à durée indéterminée des politiques d’austérité3.

Sur les questions cruciales de la dette, du financement, de la politique sociale et du « retour à la croissance » :

Un pays surendetté, contraint de contracter de nouveaux emprunts pour rembourser les emprunts antérieurs, dont la dette s’aggravera mathématiquement à moyen et long terme et dont les excédents resteront dédiés au désendettement. Rien de neuf, donc, sinon le fait que le ratio dette / PIB obtenu après huit années d’austérité sévère4 signe l’échec des politiques imposées par le FMI et les instances européennes. En Grèce, sous des formes chaque fois différentes, le refrain d’une « sortie des mémorandums » scande l’actualité politique depuis le début de la crise. L’accord de l’Eurogroupe s’inscrit dans cette logique et doit d’abord être lu comme une énième tentative de camoufler l’échec initial. Le déni originel (faire comme si l’État grec n’était pas en faillite mais simplement confronté à un défaut ou une pénurie de liquidités) est reconduit : il s’agit à présent de faire comme si cette dette était soutenable alors que l’imposition d’une politique frappant croissance et productivité à la racine et grevant lourdement le produit intérieur brut ne cesse de l’alourdir. La figure qui s’impose n’est pas celle d’Ulysse revenant au pays natal après dix ans d’errance5 mais celle de Sisyphe.

Un pays à la merci des marchés et qui devra s’acquitter de taux d’intérêt plus élevés que ceux qui lui étaient demandés dans le cadre du « programme d’assistance » qui s’achève.(...)

Dans le cas de la Grèce, deux précédentes ventes d’obligations test ont été réalisées à des taux d’intérêt trois fois supérieurs à ceux assurés dans le cadre des programmes soutenus par la BCE ; ces taux pourraient s’avérer plus importants encore à partir de la fin août.

Les agences de notation, qui ont joué un rôle-clef dans le déclenchement / dévoilement de la crise6, continuent de situer la Grèce dans la catégorie des États à risques. Certains investisseurs seront dissuadés d’investir dans les obligations grecques ; d’autres exigeront un rendement élevé, variant en fonction de la conjoncture et de la conformité du gouvernement grec aux orientation néo-libérales. Après avoir légèrement rehaussé la note de la Grèce, les analystes de Moody’s et de Standard & Poor’s rappellent que l’accord serait tenu pour caduc si le gouvernement venait à remettre en cause les mesures austéritaires passées et à venir. À compter du 21 août, les diktats de la Troïka seront simplement remplacés par ceux des fonds d’investissement et des agences de notation ; le commandement sera directement exercé par « les marchés », mais son contenu ne changera pas.(...)

La poursuite des politiques d’austérité (coupes sur les retraites, abaissement du seuil d’imposition au détriment de foyers à revenus modestes ou faibles jusqu’alors exemptés) demeure la condition sine qua non des dispositions ouvrant la voie au refinancement de la Grèce sur les marchés. Le pays devra, selon le FMI, poursuivre sur la voie des réformes et ne pas faire machine arrière ; toute « dépense sociale ciblée » devra être approvisionnée par la baisse des pensions et la réduction du taux d’imposition(...)

Les chiffres attestant d’un « retour de la croissance » doivent être replacés dans le contexte qui est le leur : récession de longue durée, chômage structurel élevé, baisse de près de 30% du PIB en huit ans. Comme le remarque par ailleurs O. Passet, « la reprise conjoncturelle du sud » n’offre que « l’illusion d’une convergence retrouvée en Europe » (...)

« Stocker les problèmes pour les renvoyer à plus tard » : le diagnostic établi par l’association Finance Watch dans une étude européenne publiée ces jours-ci s’applique de toute évidence à cette fausse sortie de crise. Les dirigeants européens tablent-ils sans le dire sur une restructuration future de la dette grecque, lorsque les circonstances politiques seront réputées plus favorables, que les contribuables allemands, hollandais ou français et leurs parlements respectifs seront mieux disposés à envisager une remise de dette réelle11 ?

Le tableau est pour l’heure celui d’un pays condamné à long terme, au moins jusqu’en 2060, à une forme de stagnation, durablement étranglé par ses obligations de remboursement et qui n’aura d’autre choix, au nom du maintien dans la zone euro et du service de la dette, que de continuer à pressurer la main-d’œuvre locale, à brader ses richesses, ses territoires et son potentiel touristique, dans le sens d’un tourisme de masse aux conséquences environnementales désastreuses12. La Grèce des mémorandums fait d’ores et déjà l’objet d’un gigantesque transfert de titres de propriété et cette tendance, plutôt que d’être freinée par l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement se réclamant de la « gauche radicale », s’est considérablement accentuée à partir de juillet 2015.(...)

S’il n’est pas certain que la confiance des marchés revienne, la défiance des citoyen.ne.s, elle, ne cesse de monter(...)

La manœuvre de longue haleine consistant à instiller des signifiants et des préjugés nationaux afin de diviser celles et ceux qui se trouvent également en butte, à travers tout le continent, au démantèlement de l’État-providence n’est pas que le fait de l’extrême-droite : elle est au cœur de la stratégie de domination néo-libérale et s’est avérée particulièrement payante dans le cas de la Grèce. Ce constat devrait, a contrario de l’illusion nationaliste, nous engager à rechercher les voies d’une alliance de classes porteuse des expériences, revendications et initiatives politiques des victimes de l’austérité.