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Du Marais poitevin à la Provence : les forêts françaises menacées de disparition
Article mis en ligne le 17 octobre 2015
dernière modification le 13 octobre 2015

À quoi ressemblerait la France sans le Bocage normand, ses forêts franciliennes, les clairières du Marais poitevin, ou ses escarpements boisés provençaux ? Tous ces paysages risquent de dépérir. Et avec eux, tous les services rendus par la forêt : biodiversité, stabilité des sols, ressources en eau, stockage du CO2, ressources pour la construction et le chauffage, espaces de loisirs et de détente… En cause : le réchauffement climatique, son lot de sécheresses, de dérèglements saisonniers, de tempêtes, d’insectes ravageurs... et une gestion en quête de rentabilité à court terme. Si le milieu forestier expérimente des solutions, malgré les coupes budgétaires, aucune véritable stratégie de préservation des forêts n’a encore été mise en place.

Les arbres qui meurent ne font pas de bruit. Pourtant, forestiers et chercheurs commencent à s’alarmer. Avec le réchauffement climatique, ils sont de plus en plus nombreux à dépérir. De soif, le plus souvent, à cause des périodes répétées de sécheresse et de canicule. « Le manque d’eau entraîne de fortes tensions dans la colonne d’eau qui va des racines aux feuilles. Cela peut aller jusqu’à la rupture de cette colonne d’eau et la formation d’embolies », explique Frédéric Jean, assistant ingénieur à l’Institut national de recherche agronomique (INRA) [1]. Avec un système vasculaire endommagé, l’arbre ne peut plus s’abreuver correctement. Les cimes s’assèchent en général les premières, puis le reste du tronc. Cela peut aller jusqu’à la mortalité complète de l’arbre. 70 % des arbres du monde souffriraient ainsi de sécheresse, selon une étude internationale [2]. Le caractère répétitif et de plus en plus rude des épisodes secs fait le plus de dégâts.
En France aussi, les arbres meurent de soif

Étendue sur 16 millions d’hectares, soit environ 28 % du territoire (presque deux fois la grande région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes), la forêt française est plutôt bien « armée » pour encaisser les chocs climatiques, grâce à sa grande diversité constituée de plus de 130 espèces. Mais face à l’ampleur des modifications, elle présente de sérieux signes d’affaiblissement. En France aussi, les arbres meurent de soif. Chênes pédonculés dans le Centre, pins douglas dans le Tarn, pins sylvestres en Haute-Provence, sapins dans les Alpes maritimes, hêtres ailleurs... de nombreux arbres se sont éteints cet été, aux quatre coins du pays. (...)

« Il y a des apparitions de ravageurs très fortes et très inquiétantes, relève Samuel Fichet, technicien arbres et haies de l’association Prom’haies, située en Poitou-Charentes. Mais le réchauffement climatique n’est pas la seule explication. C’est aussi lié à la mondialisation des échanges et donc à la circulation des ravageurs à travers les continents. Dernièrement, on est très embêtés par la mineuse du marronnier, qui pond sur les feuilles, ou encore par la pyrale du buis, qui fait des gros dégâts dans les parcs et châteaux. » (...)

Les conséquences potentielles du réchauffement climatique sur les arbres inquiètent le milieu forestier depuis longtemps, même si les relais médiatiques se révèlent peu nombreux. « Si on compare avec le secteur de l’agriculture, la prise de conscience des effets du réchauffement climatique s’est faite assez tôt dans le secteur forestier », relève Olivier Picard, directeur technique du Centre national de la propriété forestière (CNPF). L’Office national des forêts (ONF), l’Institut pour le développement forestier ou encore l’Inra se penchent depuis une bonne dizaine d’années sur la question, produisant des rapports et esquissant de nouvelles stratégies sylvicoles. Un réseau ad hoc, Aforce – pour Adaptation des forêts au changement climatique – a même été mis en place. Réunissant une quinzaine d’organismes, il ambitionne « d’ouvrir les placards des chercheurs, et de mettre leurs connaissances à disposition des gestionnaires. » Ces différents acteurs expérimentent, analysent et proposent des solutions multiples.
Quand les arbres émigrent vers la montagne

Certains arbres n’ont pas attendu les humains pour mettre en place des stratégies de survie, en diminuant la taille de leurs feuilles ou en s’enracinant plus profondément. D’autres ont choisi de... migrer. Dans les Pyrénées, les hêtres ont ainsi grimpé d’un peu plus de 30 mètres entre 1970 et 2009. Dans les Alpes, aussi, la forêt remonte. Comment ? Les graines, dispersées par le vent ou transportées par les oiseaux, germent un peu plus haut chaque année. (...)

Comment sauver les 130 espèces françaises ?

« Vu l’ampleur du changement climatique et le temps de pousse des chênes, est-il pertinent de troquer une essence contre une autre qui serait moins sensible aux sécheresses ? Le doute est permis », avance de son côté le technicien Samuel Fichet. Il serait, à mon sens, plus efficace de lutter contre le réchauffement climatique que de protéger les arbres, espèce par espèce. » « Il y a évidemment beaucoup d’incertitudes, poursuit Olivier Picard, c’est pourquoi il faut tester diverses solutions. » (...)

Avec plus de 130 espèces, la forêt française jouit d’une très belle diversité. C’est une de ses forces. Favoriser cette diversité, en tirant le meilleur de ce qu’elle offre – rapidité de croissance, bon état sanitaire, adaptabilité à des milieux très divers – fait partie des pistes étudiées dans le monde de la forêt. « C’est un travail de longue haleine, précise Olivier Picard, il faut repérer les peuplements de qualité pour aller récolter les graines et faire ensuite des plants de qualité. Les résultats ne seront visibles que des dizaines d’années plus tard. » En local, diverses méthodes de sauvegarde génétique sont mises en œuvre. L’association Prom’haies a ainsi initié un programme de sélection de graines dans les haies de son territoire.
Les sapins jugés plus rentables que les chênes ou les hêtres

« Nous avons une diversité exceptionnelle qu’il faut absolument entretenir et valoriser, insiste Sylvestre Soulié, cela passe aussi par des plantations variées au sein des parcelles. Les monocultures de résineux ne sont évidemment pas du tout pertinentes de ce point de vue. » (...)

Des entreprises privées investissent la forêt

Les savoir-faire et moyens nécessaires à ce travail d’orfèvre sont-ils suffisants ? Les trois quarts de la forêt française, soit 11 millions d’hectares, sont privés. 3,5 millions de propriétaires se les partagent. Au sein de ce vaste ensemble, les méthodes de travail sont inégales, et fort diverses. Les 500 conseillers du CNPF, « établissement public au service des propriétaires forestiers », ne peuvent évidemment pas avoir l’œil sur chaque bosquet. L’investissement de l’État est tellement défaillant que des partenariats sont désormais conclus avec des entreprises privées qui veulent compenser leurs émissions de CO2 en plantant des forêts. « Ce sont des démarches qui entrent dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises », souligne Olivier Picard. La Poste et quelques banques se sont déjà lancées. Il y a aussi des intermédiaires, comme Reforest-action, qui drainent des fonds privés vers la forêt. (...)

Côté public, 25 % de la forêt, soit un peu moins de 5 millions d’hectares (l’équivalent de la Bourgogne-France-Comté), l’heure est aux baisses d’effectifs : 2 200 agents en moins en vingt ans, pour un effectif total de 5 545 personnes en 2015. « Les territoires sont de plus en plus grands, les forestiers courent après l’urgence. Et l’urgence, c’est d’approvisionner la trésorerie de l’ONF, en vendant du bois, déplore le syndicaliste Sylvestre Soulié. (...)

La dictature du court terme contre les arbres

Mais au sein de l’ONF, les forestiers défendant des interventions non brutales en forêt ne se sentent pas soutenus. Plusieurs d’entre eux refusent de remplir les objectifs chiffrés de volumes à couper qu’ils jugent « aberrants ». « La dictature du court terme est loin du réel des forestiers, qui évoluent dans un milieu où le temps se compte en dizaines, voir en centaines d’années. Cet écart avec le réel provoque des souffrances pour les gars sur le terrain », dit Sylvestre Soulié. Ils sont en plus confrontés à des injonctions contradictoires : d’un côté la préservation et l’entretien des forêts, de l’autre, les demandes économiques. Depuis 2005, vingt-quatre agents ONF se sont suicidés.

« Avec la COP 21, ça va être le télescopage total », conclut Sylvestre Soulié, qui ironise sur les « hymnes à la nature » dans les discours face aux « méthodes expéditives » dans les clairières. On aurait aimé avoir l’avis de l’ONF sur ces différents points. Malgré nos diverses sollicitations, la direction n’a pas souhaité répondre à nos questions. Peut-être parce que le lien entre l’adaptation des forêts au changement climatique et l’organisation du travail des forestiers ne leur semblait pas très clair ?