
Mardi dernier, nous avons participé à une audience au Conseil d’État pour demander la suspension du décret autorisant la police nationale à déployer des drones sur le territoire. La décision devrait être rendue dans quelques jours. D’un côté, associations et syndicats dénonçant une nouvelle dérive de surveillance et de militarisation de l’espace public ; de l’autre, un ministère de l’intérieur méprisant ouvertement les principes élémentaires des droits fondamentaux. Épaulé par le contexte sécuritaire, ce dernier se permet même de clamer tout haut ses fantasmes sécuritaires, entre dispositifs de marquage invisible et pilotes de drones à moto.
l’année dernière, après plusieurs revers pour le gouvernement, celui-ci a réussi à faire voter par le Parlement un texte légalisant l’usage des drones par la police nationale et la gendarmerie. En avril dernier, un décret – attendu depuis longtemps – a été publié par le ministère de l’intérieur. Il permet aux préfets de prendre des arrêtés pour autoriser la police à utiliser des drones pour des missions de surveillance.
Depuis la publication de ce décret, il est rare que quelques jours se passent sans qu’un arrêté vienne prévoir un nouveau déploiement. Manifestations, frontières, rodéos urbains, événements culturels, … Le Monde dénombrait la semaine dernière plus d’une cinquantaine d’usages en à peine un mois. Les drones ne sont d’ailleurs pas les seuls à être autorisés, la police peut également utiliser des caméras fixées sur des hélicoptères – on parle de « boules optroniques », capables d’identifier des individus à plus de 2km.
Pour contrer cette vague sécuritaire d’une rare intensité (parmi d’autres), les associations et organisations syndicales mènent une bataille sur le terrain, en procédures d’urgence directement contre les arrêtés devant les tribunaux administratifs, avec quelques succès mais beaucoup de défaites. En complément, c’est pour lutter en amont contre ce déploiement que l’Association de Défense des Libertés Constitutionnelles (Adelico) a attaqué directement le décret d’autorisation des drones en demandant la suspension en référé (c’est-à-dire une procédure d’urgence) de ce texte, en attendant une décision sur le fond pour son annulation. La Quadrature du Net est intervenue au soutien de cette procédure.
Des dispositifs de surveillance ni nécessaires ni proportionnés
L’audience dans cette affaire s’est déroulée mardi dernier. (...)
Pendant près de trois heures, les associations ont répété leurs inquiétudes sur la nouvelle atteinte que représente la surveillance par drones : une surveillance mobile, invisible, en capacité de surveiller d’un seul regard plusieurs centaines de milliers de personnes. L’intervention (une requête et une réplique) de LQDN se concentrait sur le principe de nécessité et de proportionnalité, au sens du droit de l’UE (ce même droit, pourtant protecteur dans le domaine de la surveillance, que le Conseil d’État refusait d’appliquer en 2021 en matière de surveillance d’Internet).
Le principe que nous invoquions pour démontrer l’illégalité de ce décret se résume en un mot : le ministère ne démontre à aucun moment la nécessité d’utiliser des drones pour remplir ses missions de protection de l’ordre public, en particulier par rapport à l’armada d’agents, de caméras et de véhicules qu’il a déjà à terre. Pire, les drones étant en capacité de récupérer des données sensibles (comme des opinions politiques lors de la surveillance de manifestations, même si les drones traitent d’autres types de données sensibles dans les autres contextes d’utilisation), le ministère doit prouver la nécessité absolue d’utiliser ce dispositif – ce qu’il ne fait à aucun moment. (...)
Le ministère clame haut et fort son mépris des droits fondamentaux (...)
Autre point : le décret reconnaît que les drones pourront filmer l’intérieur des domiciles (ainsi que les entrées ou terrasses ou jardins). Alors qu’il s’agissait auparavant d’une limite infranchissable dans la surveillance, le ministère soutient au contraire qu’il se donne quarante-huit heures pour conserver ces images et les transmettre, si besoin, à l’autorité judiciaire.
Notons que ce mépris du ministère pour le droit n’est pas nouveau. Cela fait plus de 3 ans que nous menons des contentieux contre l’usage des drones par la police, et cela fait plus de 3 ans que le ministère enchaîne les contre-vérités et les approximations devant les juridictions. Il aura fallu deux décisions du Conseil d’État en 2020 et une sanction de la CNIL début 2021 pour les forcer à s’arrêter une première fois – avant que la loi ne vienne les légaliser. Et encore, déjà à l’époque le ministère de l’intérieur ne montrait que du mépris envers les institutions qui le contraignaient (...)
La surveillance de l’espace public en surchauffe (...)
Toujours plus inquiétant : les préfets et le ministère ne se satisfont déjà plus des drones. Dans les échanges lors de l’audience ou pendant la procédure écrite (comme l’a soulevé Mediapart), le ministère fait déjà part de ses velléités pour le futur : drones équipés de lampes puissantes, pilotes de drones à moto, et drones équipés de dispositifs de produits de marquage codés (spray ou billes tirées à partir de fusils à air comprimé permettant de marquer certains individus lors de manifestations). Où s’arrêtera le ministère de l’Intérieur ?
Nous espérons que le Conseil d’État mettra un coup d’arrêt à cette intensification sans précédent de la surveillance de l’espace public.