L’État actionnaire, avide de dividendes ? Notre enquête sur les rapports entre bénéfices et dividendes distribués par les grandes entreprises françaises montre que celles dont l’État détient des participations sont aussi, et de loin, les plus généreuses à l’égard de leurs actionnaires.
Au point de distribuer davantage de dividendes qu’elles n’ont enregistré de bénéfices. L’État français se considère-t-il désormais comme un fonds d’investissement privilégiant les gains immédiats plutôt que les politiques industrielles et sociales de long terme, sur fond de nécessaire transition écologique ? (...)
l’État semble se comporter comme un fonds spéculatif obnubilé par des gains immédiats. Le cas d’Areva est emblématique. Actionnaire à plus de 85% du champion du nucléaire, via notamment le CEA, l’Etat a empoché la plus grande part des 112 millions d’euros de dividendes alors que le fabricant de combustible nucléaire déplorait en 2012 une perte de 99 millions. Dans un contexte de crise des finances publiques, le ministère de l’Économie et des Finances peut lui aussi privilégier ses propres intérêts financiers quel que soit l’état de santé de l’entreprise. Sans même évoquer le risque de se priver d’investissements concernant la sûreté nucléaire.
Et Areva n’est pas le seul exemple. Quatre grands groupes français ont distribué à leurs actionnaires davantage d’argent qu’ils n’en ont gagné. Ils ont un point commun : l’État est très présent au sein de leur capital. (...)
Dans le même temps, ces mêmes entreprises publiques ou semi-publiques pratiquent allègrement l’optimisation fiscale en Belgique, aux Pays-Bas ou ailleurs. France Télécom/Orange, GDF Suez, EDF, mais aussi Thales ou EADS possèdent toutes des holdings financières dans ces pays, dont la seule justification être semble être de soigner leur performance financière et réduire leur facture fiscale… vis-à-vis de l’État français [5] !
Schizophrénie ? Il semble surtout que la crise financière ait accéléré un mouvement de fond, opéré sous l’égide des hauts fonctionnaires de Bercy sans véritable débat public : le passage d’une logique d’« entreprises publiques » à une logique d’« État actionnaire ». Tout se passe comme si les entreprises publiques n’étaient plus considérés que comme des placements générateurs de rente, au mépris du bien public et de toute stratégie économique de long terme. (...)
La mise en avant de l’État actionnaire ne se distingue pas d’une forme de privatisation, puisque la logique financière tend désormais à primer sur les impératifs sociaux et environnementaux, mais aussi à éroder la capacité de décision et de contrôle de la puissance publique (sans parler des citoyens) sur ces entreprises et sur les services qu’elles rendent. C’est ce qu’illustre le secteur de l’énergie. (...)