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Deux alliés contre l’universalisme des droits de l’homme
Article mis en ligne le 16 janvier 2015
dernière modification le 13 janvier 2015

Non, les fondamentalismes religieux ne sont pas une réaction au libéralisme économique. Ils s’en accommodent fort bien. Au contraire, ils s’allient pour détruire les valeurs universalistes de la modernité.

Sophie Bessis est une historienne auteure de plusieurs ouvrages en particulier sur le monde arabe. Dès l’introduction de La Double impasse, l’auteure présente sa thèse. Elle s’oppose à l’idée selon laquelle les fondamentalismes religieux seraient une réaction au manque de sens des sociétés marchandes. Les fondamentalismes religieux, en particulier liés à l’islamisme politique, n’effectuent pas une critique du libéralisme économique. Au contraire, ils s’en accommodent fort bien. Mais le fond de sa thèse se trouve au-delà : elle soutient également que fondamentalismes religieux et économie marchande doivent être opposés à l’universalisme démocratique. En effet, les deux nient le citoyen pour le réduire dans un cas au consommateur et dans l’autre, le fondre dans la communauté religieuse. A partir de là, trois grandes parties organisent l’ouvrage.

La première s’intitule « Le temps de l’anomie ». L’auteure met en valeur l’importance d’un facteur démographique. L’explosion démographique a favorisé le développement de l’islamisme politique du fait de l’existence d’une importante cohorte de jeunes désœuvrés, sans perspectives. Les religieux de tout bord encouragent la natalité, tandis que les tenants de l’économie marchande voient dans une population abondante des consommateurs potentiels. Autre facteur évoqué par l’auteure, il s’agit de la domination du dogme néolibéral dans les instances économiques internationales. La pauvreté n’est alors plus analysée comme un fait politique, mais comme une défaillance individuelle.

L’auteure avance en outre l’existence d’un double mouvement contradictoire : plus les frontières économiques s’ouvrent, plus elles engendrent un repli culturel des populations. Ainsi, l’économie néolibérale ne détruit pas les frontières, mais les reconstituent sous une autre forme. Les fondamentalismes religieux ne seraient donc pas incompatibles avec l’économie marchande néolibérale. Ils s’en accommoderaient fort bien dans la mesure où cette économie est la condition de possibilité du développement de leur emprise. En revanche, l’ensemble des fondamentalismes religieux auraient pour ennemi le libéralisme politique et l’universalisme des droits de l’homme. Les Émirats du Golfe constituent un exemple de ce triptyque : rigorisme religieux, capitalisme marchand, régime politique autoritaire. Mais cette logique n’est pas à l’œuvre uniquement dans les pays du sud. Les discours de Samuel Huntington, ou d’autres, entendent renvoyer l’Occident à des racines judeo-chrétiennes. Sous l’expression de « la querelle des universaux », l’auteure désigne alors la tendance des lectures religieuses à instrumentaliser l’universel en en faisant un instrument de lutte entre deux civilisations fondées sur la religion : l’Islam et le monde chrétien.

La seconde partie de l’ouvrage a pour titre « Révolutions et contre-révolutions ». L’auteure rappelle que l’instrumentalisation du religieux au service du politique est une dimension ancienne (...)

La troisième partie de l’ouvrage est titrée « l’Occident à sa fenêtre ». L’auteure pointe le fait que le discours occidental dominant sur le monde arabe avait fini par entériner l’idée que les sociétés arabes ne portaient pas d’aspiration à la démocratisation et à la sécularisation. Elle rappelle également que les Etats-Unis ont noué des liens solides avec toutes les organisations dérivées des Frères musulmans. Ces organisations religieuses si elles professent un anti-occidentalisme n’en sont pas moins comme leur interlocuteur américain favorables au libéralisme économique. L’auteure pointe en effet la contradiction entre un discours de lutte contre le djiadisme et les liens économiques qui sont à la source du financement de ces mouvements. A l’inverse, la rhétorique des droits humains fait l’objet d’une instrumentalisation : brandie ou reléguée au second plan, selon les intérêts du moment. (...)

L’auteure renvoie dos à dos les fondamentalismes religieux et l’économie marchande néolibérale, fondée sur l’innovation technologique, qu’elle oppose à la modernité libérale démocratique. Les deux premières – les incarnations de la postmodernité - seraient en définitive la négation des libertés que la troisième aurait défendue. Les fondamentalismes religieux ne combattent pas le libéralisme économique, au contraire ils s’appuient sur ses ressources pour prospérer. Alors que certains dans les sociétés occidentales semblent renoncer à l’universel, d’autres dans le monde arabe ont fait des promesses de la modernité un vecteur d’émancipation.

La lecture que fait Sophie Bessis de ces deux phénomènes que sont l’islamisme et la marchandisation néolibérale s’inscrit dans une tradition qui est celle d’un libéralisme politique humaniste, souvent présent au sein des élites intellectuelles bourgeoises. Ce discours tend à s’opposer à celui d’une bourgeoisie, soutenant le néolibéralisme économique, en brandissant la tradition humaniste et universaliste issue des Lumières. Contre le consommateur, c’est la figure du citoyen qui est mise en avant. Mais ce libéralisme politique prend pour cible plus encore tous les discours défendant la communauté. Sont visés sous cet ensemble différents protagonistes : les communautés religieuses, le différentialisme de l’extrême droite, le relativisme postmoderne…

La dimension, à notre avis, la plus intéressante de l’ouvrage de Sophie Bessis, réside dans sa tentative, néanmoins pas suffisamment approfondie à notre goût, de pointer la compatibilité entre les fondamentalismes religieux et l’économie marchande. (...)