
Voile, bikini ou burkini, vous pensez que le débat est récent ? Détrompez-vous. En 1453, Gomes Eanes Zurara décrit la tenue de femmes rencontrées par des marins portugais sur les côtes de l’Afrique occidentale. Et elles font plus fort que tous les fantasmes de TF1 : elles sont voilées ET nues.
Je n’ai pas de gravure d’époque, celle à la une de cet article est une métaphore de l’Amérique. Mais la description vaut le détour : « Les femmes portent des haïks, qui sont des espèces de mantes dont elles se couvrent seulement le visage, et elles croient avoir ainsi couvert tout ce qu’elles doivent cacher, car leur corps est entièrement nu. » Pour les Portugais, ç’en est trop : il est temps de proclamer bien haut ce qu’ils pensent de ces corps trop dénudés.
Des Portugais en Afrique
Est-ce que Zurara a raison ? Est-ce que des femmes se promènent bien nues et voilées quelque part au sud du Sahara au XVe siècle ? Comme il existe très peu de sources, alors je vous laisse apprécier la fiabilité de l’auteur pour vous faire votre avis.
Gomes Eanes Zurara n’a pas vu lui-même les demi-nudistes qu’il décrit. Il a puisé ses informations auprès des marins qui circulent dans ces régions. Le Portugal est alors un petit pays, coincé à l’extrême ouest de l’Europe.(...)
Évidemment, les rapports ne sont pas très bons entre marins portugais, lancés par groupes de quelques navires venus pour le profit, et habitants locaux, avec qui ils communiquent parfois par l’intermédiaire d’interprètes. En fait la chronique relate toutes les trois pages des épisodes de kidnappings : par la force ou par la ruse, les Portugais enlèvent des Africain-e-s pour les ramener à Lisbonne, quand il.elle.s survivent. À Lisbonne ils pourront les donner ou les vendre : l’esclavage est alors légal, et comme les Portugais s’approvisionnent peu du côté des routes slaves, d’où venaient massivement les esclaves au Moyen Âge, les noirs asservis ou affranchis sont nombreux dans les rues de la capitale.
Donc, la mode n’est pas à l’ethnographie paisible.(...)
cette petite diatribe sur la nudité des femmes est un des seuls passages de la chronique où les habitants locaux sont décrits de manière un peu détaillée. Et ça ne rate pas : en les décrivant, on les juge immédiatement par rapport à des critères de normalité. La normalité du XVe siècle au Portugal, bien sûr.(...)
« s’il y avait chez eux tant soit peu de raison, ils se conformeraient à la nature, en couvrant seulement ces parties dont elle a montré qu’elles devaient être couvertes, car nous voyons qu’elle a entouré de poil chacun des endroits honteux, montrant ainsi qu’elle voulait les cacher. »(...)
les poils poussent, c’est bien la preuve qu’il faut s’habiller. Finalement, le costume des femmes n’est pas si important : ce qui importe pour Zurara, c’est de montrer qu’il est contre-nature. Les Portugais n’ont pas seulement les habits les plus pudiques, ils ont aussi les habits les plus « normaux », les plus dans la norme.
Du XVe siècle à aujourd’hui, les arguments ont changé, les costumes de plage aussi. Ce qui reste, c’est sans doute la manie du « normal », de vouloir définir ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas. (...)