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Non-Fiction
Des régressions socio-politiques actuelles
Article mis en ligne le 1er juin 2019
dernière modification le 30 mai 2019

Le désarroi et l’instabilité sont devenus les traits caractéristiques de notre époque. Cet ouvrage les prend à bras-le-corps pour repenser le monde social et politique.

Si le présent est un âge de « régression », le penser à partir de cette notion n’est pas chose aisée. Employée dans le contexte culturel, social et politique contemporain, elle porte à des considérations aussi bien négatives que positives. Devant elle, beaucoup sont perdus. Les uns parlent de régression lorsqu’un gouvernement s’attaque à la restriction des services publics. Les autres parlent de régression de la démocratie lorsque de nombreux citoyennes et citoyens ne participent plus aux votes et autres prises de décision. Etc. L’application de la notion de régression à une situation ne repose donc pas sur une évidence. Certes, la notion a sa source dans l’idée de « retour ». Mais le retour peut bien être réactif, comme il peut devenir une instance de vérification. En mathématique, il est possible de régresser dans un raisonnement, à partir des conséquences, afin d’en retrouver les principes. Alors la régression, paradoxalement, marche en avant.

En matière sociale et politique, l’application est plus délicate encore. D’autant qu’on a vite fait de nos jours d’invoquer des complots à l’endroit de nombreux événements, quand on ne fait pas ressurgir une diabolisation ou une métaphysique du mal : « c’est diabolique ! », « c’est toujours ainsi ! » « La décadence est continue ! » Mais justement, la somme de réflexions réunies par Heinrich Geiselberger ne nous trompe pas. Elle ne nous égare pas non plus. En Allemand, ce volume est clairement sous-titré : Un débat international sur la situation spirituelle de l’époque. Et nous avons bien besoin tant de débats, que d’analyses culturelles de notre époque.

Les intellectuels et le monde

En cela, cet ouvrage a dès l’abord un mérite. Il commente les régressions, sur lesquelles nous reviendrons, d’un point de vue qui ne se restreint pas à l’espace d’une nation. Entendons par là que les auteurs adoptent aussi bien une perspective européenne qu’une perspective mondiale ; et surtout que les auteurs relèvent de plusieurs contextes tant du point de vue de leur discipline, que de celui des langues et des cultures. (...)

Les auteurs s’inquiètent de l’essor du repli identitaire, des démagogies autoritaires, des discours réactionnaires, des discours haineux, en Europe et dans le monde. Ce qu’ils relèvent communément, c’est qu’actuellement, dans les discours comme dans les projets proposés à l’attention des citoyennes et des citoyens, tout se passe comme si nous assistions à un grand retour en arrière. Comme si la peur et la violence l’emportaient sur les espoirs d’ouverture nourris ces trois dernières décennies.

La « régression » généralise les tendances régressives à l’œuvre dans les sociétés occidentales. Ce ne sont évidemment pas les phénomènes déclencheurs qui tombent sous cette notion de régression : migrants (migrations, immigrations et émigrations), terreurs, mondialisation, etc. La régression tient au contraire dans les réactions à leur endroit (...)

Ceci admis, il est un point sur lequel insistent les auteurs après les explications données à ces régressions : c’est qu’il ne faut pas réduire les crises ainsi provoquées à des arguments faibles, et surtout pas à des arguments moraux. Le progrès n’est pas plus du côté du « bien » que la régression n’est du côté du « mal », ou l’inverse. Il convient de tisser un lien entre les appels à la régression et le statut des classes moyennes, voire la fin des internationalismes. Mieux vaut d’ailleurs relever au passage la contradiction entre les propos régressifs et le fait de leur soutien aux politiques économiques libérales conduites, au capitalisme de copinage bien informé, et à l’indifférence aux authentiques souffrances et angoisses de la grande masse des citoyennes et citoyens.

Notons par ailleurs que les auteurs ne font pas grand cas de la construction européenne au cœur de tout cela. (...)

De nombreux articles insistent de surcroît sur le climat de méfiance mutuelle, le climat de suspicion et de compétition féroces, qui s’est imposé depuis longtemps autour de nous et sans doute en chacun de nous. C’est éventuellement de lui que provient cette hostilité fréquente à toute idée d’esprit collectif et d’aide mutuelle.

Enfin, la plupart des auteurs reviennent sur la question du populisme. (...)

Des solutions ?

Ce volume se déploie autour d’un axe commun : nos concepts et catégories de pensée semblent bien incapables d’intégrer et d’assimiler ce qui s’apparente à une explosion de forces incontrôlées. Ne devons-nous donc pas chercher à en finir avec les oppositions binaires : progressiste-réactionnaire, fascisme-libéralisme, rationnel-irrationnel,…

Trop souvent, est-il affirmé, nous avons encore une conception de la motivation humaine qui a été élaborée à l’époque des Lumières, et qui ne convient plus. Or, les bouleversements dont nous sommes les témoins et notre perplexité devant eux nous imposent d’ancrer à nouveau nos réflexions dans la sphère des pulsions et des émotions. Idée courante désormais, mais sans doute à critiquer. Il n’empêche, affirment les auteurs, nous avons besoin d’une compréhension élargie de ce que signifie appartenir à l’espèce humaine. (...)

C’est peut-être cela qui nous place devant plusieurs difficultés qui, elles, ne relèvent d’aucune régression. Ces difficultés doivent être prises à bras-le-corps. Il s’agit, à la fois, de l’abandon en rase campagne des pays qui avaient inventé la mondialisation ; de la mutation climatique ; et de l’obligation de servir de refuge à des millions de migrants et de réfugiés. Bruno Latour y insiste. En un mot, le sol européen a changé de nature, nous sommes tous en migration vers des territoires à redécouvrir et à réoccuper. Et même si beaucoup croient nécessaire de se replier sur eux-mêmes (« arrière toute ! »), le problème demeure, car il n’y a plus de chez soi, pour personne. Parce qu’il n’y a pas de planète capable de réaliser les rêves de la globalisation.

Inquiétons-nous plutôt de la future épreuve collective : l’épreuve de nous retrouver privés de sol. La nécessité de découvrir en commun un territoire où habiter.